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la vingt-quatrième des Gardes françaises, était de faction, ce jour-là, sur le quai des Orfèvres. Le jeune Brienne et son frère, plus jeune, qui devint évêque de Coutances, furent placés entre les deux premiers caporaux. Ils portaient « le haut de chausse d’écarlate chamarré de galons d’argent, avec un petit buffle à manches de brocart d’or, aussi chamarrées au bracelet du même galon que la culotte, le chapeau gris et assez grand de bords, ombragé d’un bouquet de plumes blanches et le bas de soie gris de perle bien tiré, avec des escarpins de maroquin rouge brodés et faufilés d’une dentelle d’argent, avec un nœud pareil sur le cou du pied, selon la mode d’alors. » Le mousquet luisant, la bandoulière analogue à celle des grands soldats, une épée à garde d’argent : le jeune Brienne avait bon air. Et la reine dit, en regardant son frère et lui : « N’est-ce pas eux qui ont pris Gravelines ? » Le jeune Brienne, quand il écrit cela, n’est plus jeune et languit seul entre les quatre murs de sa prison. De sorte qu’il rougit de raconter de telles anecdotes qui ne sont guère sérieuses ; mais, quoi ! ne dit-on pas que l’enfance est notre meilleur temps ? Alors, il ne serait pas juste, remarque le bonhomme Brienne, de l’oublier.

En 1651, M. de Brienne le père était, depuis quelque huit ans, secrétaire d’État aux Affaires étrangères et le jeune Brienne avait tout juste quinze ans. Le roi, dans sa treizième année, achevait le temps de sa minorité. Mme d’Aiguillon dit à la reine : « Sortirez-vous de la régence, madame, sans accorder à M. de Brienne, qui vous a si bien servie et qui est si pauvre en comparaison de ce qu’il devrait être, la survivance de sa charge à son fils ? On dit qu’il est joli garçon… » Etc. Mme d’Aiguillon dit ce qu’il fallait dire : elle était bonne intrigante et obligeante à ses amis. La reine répondit : « Mais le cardinal est absent ! — Oh ! pour le cardinal, j’en réponds ! » reprit Mme d’Aiguillon. Le 24 août 1651, le jeune Brienne de quinze ans et demi fut ainsi nommé survivancier de son père. Le 25 août, comme la régence allait finir, il prêta serment de fidélité entre les « belles mains » de la reine ; et, le jour suivant, il parut à la cavalcade en habit brodé, la casaque de camelot incarnat broché d’or sur les bras, une housse de velours noir, à cause de sa nouvelle dignité, sur un barbe blanc ; puis il eut sa place au palais, dans la grand’chambre, sur le banc des secrétaires d’État, le petit bout de place que ses confrères plus âgés consentirent à lui accorder : il put mettre « la moitié de la fesse, » et bien content, sur le banc.

Voilà un jeune homme qui fera son chemin, qui en tout cas est