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France, récurer leur lit, agrandir leurs berges et les peupler de péniches et de mariniers. Bien souvent, dans le wagon boggie qui les emportait à toute vitesse à travers la plaine, les voyageurs ont envié le sort paisible des hôtes de ces péniches couleur acajou, qui s’arrêtent chaque soir, dans la fraîcheur de la vallée, au milieu du cadre exquis de nos rivières bordées de saules et de prairies. Mais ils ont souri en voyant le petit âne gris piaffer le long des chemins de halage, traînant péniblement une barque qui pouvait contenir plusieurs centaines d’ânes aussi gros que lui. Qu’il paraissait mesquin, le piètre aliboron,, auprès de la puissante machine emportant le rapide dans un grand bruit d’acier ! Et cependant, rien ne serait plus faux que de représenter le trafic des canaux comme un moyen de transport désuet ; on a eu tort, lors de l’apparition des chemins de fer, de mépriser les transports fluviaux. Il est vrai qu’ils sont plus lents que les transports par voie ferrée, et qu’ils ne conviennent qu’à des matières lourdes et non périssables, mais ils sont beaucoup plus économiques. Avant la guerre, leur cout était de 1 à 2 centimes la tonne kilométrique, contre 5, 6, 7 et 8 centimes par chemin de fer. L’avantage est donc assez grand. Les minotiers de la Suisse romande l’avaient compris ; comme ils achetaient leur blé à Odessa, ils avaient trouvé leur intérêt à utiliser la voie fluviale, en faisant venir leurs céréales par le Rhin en doublant l’Espagne, plutôt que de les acheminer via Marseille et Genève.

Si nos précieux canaux ont été négligés lors de l’utilisation de la traction par fer, toute une série de considérations contribuent à leur redonner de l’actualité. Le développement des usines hydro-électriques fait rechercher partout des sources de courant grâce à l’utilisation des chutes et rapides fluviaux. On est conduit ainsi à la transformation des torrents et des rivières en de véritables marches fluviales dont les barrages forment les écluses géantes. Il s’ensuit que la batellerie, cantonnée jadis dans les plaines où coulaient les rivières canalisées, ou dans le cours inférieur des fleuves, remonte maintenant jusqu’aux extrêmes plateaux et gravit en quelque sorte la montagne par de véritables « lacs-escaliers. » En outre, l’approfondissement des canaux qui peuvent maintenant porter des péniches de 1 200 tonnes a prodigieusement augmenté le rendement des voies navigables.