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de tout temps, l’on vit refleurir les ruines, Hubert Robert modifia les parterres et dessina des courbes sinueuses dans les soixante-quatorze arpents qui entourent le château. Il couvrit de lierre l’ancienne voûte du pont-levis et, sur les conseils de La Fayette, fit combler plusieurs des douves. Et il y a comme un symbole dans ce « geste » du gentilhomme libéral. Puis, — La Fayette avait du goût, — Hubert Robert suivit ses indications en distribuant au mieux les massifs de chênes verts, de sapins et d’érables, les bouquets de frênes américains, de mélèzes et de catalpas, dont l’ensemble harmonieux donne au parc de La Grange une séduction permanente aux aspects successifs et variés.

Dans ces jardins nouveaux où bientôt tout fut jeunesse et vie, frémissement et lumière, La Fayette, — souvent, parait-il, enfant à ses heures, — se divertit beaucoup à rassembler des souvenirs du pays où il avait promené sa jeunesse aventureuse. Près des bâtiments agricoles il rassemblera, dans une ménagerie, les animaux les plus divers dont le plus curieux est un ours du Missouri. Les bâtiments agricoles ! C’est là que La Fayette, pendant plusieurs années, passe le meilleur de son temps et applique ses théories de retour à la terre.

En culture comme ailleurs, La Fayette est partisan des innovations sinon des bouleversements. il dirige lui-même le fermier qui exploite les cinq cents arpents de La Grange d’après les conseils qu’il a reçus de l’Américain Gouverneur Morris et les préceptes anglais. Le « fermier » d’ailleurs est un ami : Félix Pontonnier, son ancien secrétaire, qui a partagé la captivité d’Olmütz. Chaque jour, — dans ses vieux ans, — La Fayette le viendra visiter en compagnie d’un serviteur fidèle, le brave Bastien Wagner, un ancien soldat des guerres d’Espagne, qui rase le général chaque matin et le suit pas à pas dans ses promenades.

Nécessairement, La Fayette est « homme de la nature. » Aussi bien ne fauche-t-il point ses prairies et n’émonde-t-il pas ses arbres. Il laisse ce soin aux bestiaux en liberté qui s’en chargent en paissant !

Ses bergeries et ses étables sont des modèles de propreté et de « confort. » On y vivrait à souhait, comme à Trianon. Le tout est spacieux, bien aéré. Douze cents moutons, cinquante vaches et cent cinquante porcs coulent là d’heureux jours en