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il s’installe à La Grange avant le partage définitif des biens de sa belle-famille. Son bonheur est obscurci par une douloureuse nouvelle. A peine arrivé, il apprend la mort de Washington (1er novembre 1799), qui lui lègue une paire de pistolets, — pieusement conservée dans le musée de La Grange. Cependant mille projets d’avenir l’arrachent aux sombres images du passé. Il se plonge dans la lecture d’Arthur Young : « Pour mes amis, dit-il, je serai plein de vie ; pour le public, je veux être une peinture dans un musée ou un livre dans une bibliothèque ! » A son ami Masclet il écrit (22 novembre 1800) sa volonté de ne plus faire en Amérique que des visites « particulières et patriotiques, » parce qu’il est « beaucoup plus occupé de fermes que d’ambassades. » Au même il écrit encore, le mois suivant : « Je suis seul ici, dans mes champs, où je passe une vie très agréable, au milieu d’une exploitation de quatre fortes charrues et en très bonne démonstration du problème tant disputé du propriétaire cultivateur. » Et à M. Abema, ministre batave à Hambourg : « L’habitation où j’ai réuni ma famille est un héritage de ma malheureuse belle-mère, à quatorze lieues de Paris. J’y suis entouré de l’attachement de mes amis. Je ne me mêle pas plus des oppositions que de l’administration, et je profite complètement des droits que j’ai acquis à un honorable repos. »

Voici donc La Fayette « cultivateur, » mais il devine qu’on aura quelque peine à croire à sa nouvelle évolution. Aussi bien expose-t-il assez judicieusement son programme : « Il est ridicule, dit-il, de se croire métamorphosé en fermier par l’achat d’une ferme à l’anglaise, et il y a telle manipulation subalterne pour laquelle il faut l’expérience journalière des hommes qui n’ont pas fait d’autre métier. Mais c’est donner dans l’autre extrême que de croire que l’extension des idées et des lumières, la comparaison judicieuse des objets qu’on voit et des connaissances qu’on acquiert ne soient propres qu’à rendre inepte en un métier où la théorie est si nécessaire à la pratique. »

Le cadre dans lequel La Fayette passera en Cincinnatus les années du Consulat et de l’Empire, entouré de ses parents et de ses amis, de sa gens et de ses « clients, » offrait le contraste le plus parfait qui se pût imaginer avec le décor de ses jeunes ans écroulés en Amérique.

Un château est parfois une page d’histoire de France sur