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Khoungouses. En 1905, leur nombre s’élevait déjà à 40 000, et depuis n’avait cessé de s’accroitre. Beaucoup d’indigènes étaient, en effet, venus les rejoindre : des réguliers chinois avaient déserté pour prendre place dans leurs rangs.

Les règles qui président au fonctionnement de la nouvelle fédération rappellent fort les lois de l’ancienne république de la Chetouga, mais elles sont beaucoup plus douces. Les Khoungouses, qui n’ont plus à lutter à la fois contre les hommes et contre la nature, ont reconnu l’inutilité de maintenir l’inflexible dureté de leur organisation primitive.


J’ai pu, il y a quinze ans, arriver jusqu’à leur chef, ce qui eût été complètement impossible auparavant. Cette entrevue fut très intéressante, car elle me permit de recueillir la plupart des renseignements qui précèdent.

Le Chef de la fédération, qui appartenait à une vieille famille chinoise et avait subi les examens les plus élevés du mandarinat, avait appartenu plusieurs années à la légation Céleste de Londres. Compromis dans une conspiration après son retour en Chine et condamné à la déportation perpétuelle, il fut interné à Tsitsikar d’où il s’échappa pour chercher un refuge chez les Khoungouses.

De petite taille, ce Chinois, au visage émacié, avait beaucoup de distinction. Il me souhaita la bienvenue dans le plus pur anglais, ce qui me stupéfia, car il n’est pas banal de rencontrer au fond de la Mandchourie, un chef de brigands parlant la langue de Shakespeare presque aussi élégamment que le plus lettré des fils d’Albion,

La pièce où il me reçut ne devait guère ressembler au local où se réunissaient les chefs de la première République khoungouse : c’était un véritable fouillis de tapis et de coussins où la lueur des lampes, tamisée par des abat-jour de soie verte, laissait entrevoir de précieux bibelots chinois et japonais. De nombreux ouvrages, notamment ceux de Kou fou Tseu, témoignaient que le chef des modernes Khoungouses se complaisait dans la lecture des doctrines du grand philosophe chinois.

Il m’apprit que, tout en prêtant leur concours aux Japonais, les Khoungouses n’en restaient pas moins soumis aux lois qui régissaient leur fédération ; sur un signe de leur chef, ils abandonneraient