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ce front sans couronne ; elle salue très bas en réponse aux hommages qu’on lui adresse, mais sans sourire accueillant sur ses lèvres closes ; elle semble ne voir personne, mais fixer droit devant elle, on ne sait quelles visions qu’elle veut jalousement garder pour elle seule. Même à cette heure, elle était sur la défensive contre la vie, en garde contre l’avenir…

Le jour suivant, Nicolas et sa belle compagne furent couronnés dans la vieille cathédrale du Kremlin et devinrent les monarques oints du plus grand royaume sur terre.

Ce fut une longue cérémonie, interminablement longue, mais d’une beauté fascinatrice dans ce cadre légendaire, si magnifique qu’elle semblait irréelle, comme si on était reporté aux jours dont parlent les vieux écrits.

L’église est haute, sombre et voûtée ; les murs dorés s’ornent de fresques archaïques. Le temps a tout harmonisé en tonalités merveilleusement adoucies. Une poussière blonde emplit le sanctuaire ; chaque visage y change d’expression, y devient étranger et mystérieux ; une attente solennelle s’empare de tout et de tous ; l’atmosphère est tendue comme si des ailes géantes palpitaient quelque part dans l’ombre. Tous les yeux sont fixés sur les deux figures de l’homme et de la femme auxquels tous viennent rendre hommage, l’homme et la femme qui incarneront désormais le sort de ce grand pays.

Nicolas est pâle, il semble plier sous le poids de la prodigieuse couronne de ses ancêtres. Son manteau doré paraît trop lourd pour ses épaules, et l’on songe involontairement à la stature géante de ceux qui sont venus avant lui. Mais dans ses yeux brille l’ardeur du mystique.

Elle, plus grande, a l’air de porter plus aisément les insignes de la royauté ; mais ses joues sont brûlantes, ses yeux fiévreux, ses lèvres serrées ; il n’y a aucune douceur dans son expression. Même là, dans cette cathédrale dorée, à l’heure de sa plus grande gloire, elle semble défier l’ennemi invisible qui pourrait ramper vers elle, hors de l’ombre…

La cérémonie est terminée ; le couple couronné sort du sanctuaire ; dehors, c’est l’éclatant soleil d’un jour de printemps. Suivis des prêtres et des hauts dignitaires, ils montent lentement les marches d’un escalier découvert, à tapis rouge, vers une large terrasse surplombant la foule qui va les acclamer. Des pages, vêtus d’écarlate et d’argent, portent les traines