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de la Pologne ; en raison des massacres récents qui ont terriblement éclairci les rangs des Arméniens, et des persécutions séculaires qui les ont dispersés, il s’agit moins d’attribuer des territoires à un peuple qui les occupe en masse, que de rassembler, sur le domaine historique d’une vieille nation, ses rameaux dispersés. La voix des morts doit être entendue ; il n’est pas possible que la statistique, faussée par les massacres, profite aux bourreaux. D’ailleurs, même dans l’état actuel, l’élément arménien est encore relativement nombreux sur le territoire qu’il revendique et, en tout cas, il y est le seul élément susceptible d’organiser un État moderne, de créer des industries, d’adopter des méthodes de travail agricole perfectionnées ; l’Arménien n’est pas seulement un bon commerçant, un habile manieur d’argent, un agriculteur intelligent ; il est aussi passionné pour la haute culture intellectuelle, les arts et les sciences. De tous les éléments ethniques de l’Asie occidentale, il est, avec le Syrien et le Grec, le plus apte à s’adapter aux méthodes occidentales et à créer un État prospère. Mais il aura besoin, pour y réussir, de temps et d’assistance.

D’autres éléments ethniques partagent avec les Arméniens le même domaine géographique. On y trouve des Turcs dans la partie Ouest, et les Arméniens souhaitent d’en annexer le moins possible. On y trouve des colonies de Tcherkesses du Caucase, implantés par Abd-ul-Hamid pour accroître la force de l’élément musulman et former des équipes de massacreurs. Sur la côte de la Mer Noire, les Grecs sont nombreux ; ils ont fait un accord avec les Arméniens pour entrer dans leur État en y gardant leur langue et leurs écoles. Près des frontières de la Perse, on rencontre les débris d’une intéressante population chrétienne, les Nestoriens, que les Anglais appellent Assyriens ; il en reste environ 80 000 qui vivront en bonne harmonie avec les Arméniens après avoir subi les mêmes persécutions. Mais l’élément le plus important, c’est le Kurde.

Les Kurdes constituent un peuple à part ; ils habitent la même région et ont gardé à peu près les mêmes mœurs qu’à l’époque où Xénophon, qui les décrit sous le nom de Carduques, a traversé leur pays. Leur domaine propre, c’est la région intermédiaire entre les hauts plateaux arméniens et les plaines mésopotamiennes ; c’est là, à proprement parler, le Kurdistan. Mais d’autres Kurdes sont établis sur les hauts plateaux