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de la domination turque sur Constantinople et en Europe. Ce vœu, ou plutôt cette sentence, s’est traduite, au commencement de 1915, en une convention par laquelle la France et l’Angleterre assuraient à la Russie, après la guerre, la possession de Constantinople et des détroits, à charge de garantir la liberté de la navigation et de respecter les droits acquis. Si donc la Russie avait gardé sa place dans la grande alliance, la question de Constantinople serait résolue d’avance. La défaillance et les malheurs de la Russie laissent la question ouverte, mais grevée d’une hypothèque morale dont il doit être tenu compte.

Il y a, pour ainsi dire, deux éléments dans la question de Constantinople ; la ville, capitale de l’Empire ottoman, avec les territoires voisins, d’une part, et, de l’autre, la liberté des détroits. Dès qu’il y aura une Russie réorganisée, elle demandera, comme une nécessité et comme un droit, le libre passage du Bosphore et des Dardanelles, qui seront demain, comme ils étaient hier, « les clefs de sa maison. » Mais elle n’est pas seule à revendiquer la garantie de ce droit : la Roumanie et la Bulgarie, sans compter les États nouveaux, tels que l’Arménie, qui seront riverains de la Mer Noire, y ont le même intérêt. Le traité de paix consacrera la liberté des détroits qui seront ouverts même aux navires de guerre ; il semblerait pratique de les placer sous le contrôle de la Société des Nations, dont une délégation spéciale constituerait sur place une commission chargée de trancher les questions de droit, d’administration, de navigation et d’assurer pratiquement la liberté du passage. Il devrait être interdit de fortifier les rives des détroits jusqu’à 50 kilomètres dans les terres. Une place dans la commission serait naturellement réservée à la Russie dès qu’elle entrera dans la Société des Nations ; la présidence pourrait être alternative ou appartenir, au moins provisoirement, aux États-Unis, dont le désintéressement, en raison de leur situation géographique, ne saurait être mis en doute. La liberté des détroits serait ainsi assurée en dehors et au-dessus de la question de souveraineté des pays riverains ; ceux-ci seraient grevés d’une servitude de passage et de neutralité.

Et c’est une raison de plus pour que la capitale de l’État ottoman ne soit plus sur le Bosphore, même si une souveraineté turque subsiste sur le territoire européen. Constantinople, ville cosmopolite, centre international des affaires et