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de donner pour base à l’Etat ottoman le nationalisme turc ; leur plan impliquait la suppression des autres nationalités. Un certain Ziya bey, de Diarbekir, constitua en 1909, à Salonique, une société qui se proposa pour but d’expulser de la langue turque les mots arabes ou persans qui seuls en font une langue littéraire, et de « turciser » même la religion, les prières et les livres saints ; ces fanatiques voulaient même effacer sur les mosquées les inscriptions en arabe. On expulsait les mots en attendant d’expulser ou de tuer les hommes ! La guerre de 1912 confirma les Jeunes-Turcs dans leur conviction qu’une politique de centralisation et de « turcisation » pourrait seule sauver l’Empire. C’est à cette époque qu’un Juif de Salonique écrivit sous le pseudonyme de Tékine-Alp un livre intitulé : le Turc et l’idéal panturc, qui est comme le bréviaire de la politique pantouranienne dans laquelle le Comité « Union et progrès » allait engager la Turquie pour le service du roi de Prusse.

Le pantouranisme est avant tout une politique de guerre. Entre les divers peuples Touraniens, dont l’état social et politique n’a pas varié depuis les temps anciens, il n’existe aucun sentiment d’unité, aucune communauté de culture, aucun lien, si ce n’est, pour la plupart d’entre eux, l’Islam. Mais il s’agissait, pour les Allemands et les Turcs, de susciter quelque agitation parmi les Musulmans de Russie, de préparer le chemin aux troupes ottomanes en Transcaucasie ; des sociétés furent créées qui, avec les fonds de la caisse des ouakoufs (fondations pieuses), s’appliquèrent à promouvoir un irrédentisme turc. Les Jeunes-Turcs qui avaient eu à souffrir chez eux de l’irrédentisme slave et grec, cherchèrent à utiliser contre leurs ennemis ce puissant instrument de désagrégation. Tandis qu’il n’y a, dans l’Empire ottoman, qu’environ huit millions de Turcs, il y a, dans l’Empire russe, de la mer du Japon à la Baltique, à peu près seize millions de Turco-Mongols ; ils sont d’ailleurs, divisés en petits groupes sans liens les uns avec les autres et ils parlent plusieurs langues différentes ; leur unité n’est qu’une fiction ; plusieurs tribus, d’ailleurs, ne sont pas turques, mais finnoises. Le pantouranisme ne rayonnait pas seulement sur la Russie. Les invasions et les migrations turques ont laissé sur les plateaux iraniens, particulièrement dans le Nord-Ouest de la Perse, de nombreux rameaux qui, pour la plupart, parlent un