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ne fît que les exaspérer. Ils se mirent à préparer une guerre de revanche contre les Grecs et se lancèrent dans des armements navals. La politique allemande qui, dès lors, était résolue à provoquer la grande guerre, ne pouvait manquer d’utiliser à ses propres fins de telles dispositions ; le baron Marshall et, après sa mort, son successeur Wangenheim, et, avec eux, tous les Allemands de Turquie, s’employèrent à attiser les rancunes des Jeunes-Turcs et à souffler sur leur folie. L’union balkanique, si éphémère qu’elle ait été, avait inquiété l’Allemagne pour la sécurité de ses communications avec l’Empire ottoman et le chemin de fer de Bagdad ; elle avait résolu d’éliminer complètement l’influence russe des Balkans et d’Arménie, c’est-à-dire des deux points par où une poussée russe aurait pu menacer le chemin de fer de Bagdad, cette épine dorsale de la Turquie germanisée ; des publicistes politiques allemands tels que Axel Schmidt, J. Hermann et surtout Paul Rohrbach se mirent en campagne et dépeignirent aux Turcs épouvantés la descente des cosaques du Tsar vers le Bosphore et vers le golfe d’Alexandrette. Il n’y avait de salut pour les Turcs que dans la protection allemande. La coalition des ambitions germaniques et des rancunes turques était complète dès les premiers mois de 1914 et se traduisait par la nomination du général allemand Liman von Sanders comme inspecteur général de l’armée ottomane, puis comme commandant du 1er corps d’armée à Constantinople ; il était en outre accrédité auprès du gouvernement turc comme le représentant personnel du Kaiser. Il était difficile de conserver encore des illusions. Le triumvirat jeune-turc avait eu l’adresse de placer au grand-vizirat le prince égyptien Saïd Halim, fantoche décoratif, que sa vanité et son ambition mettaient à leur merci et auquel ils promettaient le poste de khédive d’Egypte après l’expulsion des Anglais ; ils lui laissaient les apparences pompeuses du pouvoir, avec le soin d’amuser les représentants étrangers, et se réservaient pour eux-mêmes l’autorité réelle et les jouissances immédiates. Il en était de même dans les provinces où les fonctionnaires ne pouvaient exercer leur autorité que dans la mesure où ils étaient dociles aux injonctions des comités jeunes-turcs dont le réseau s’étendait sur tout l’Empire. Cette armature secrète constituait, pour les chefs du comité de Constantinople, un instrument de règne ; c’est par ce canal que