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économique et sociale, les services ordinaires de la guerre et de la marine : il est à prévoir que les budgets prochains pourront atteindre au moins 16 à 18 milliards, plus de trois fois le chiffre d’avant-guerre. Or, le revenu national de la France était évalué en 1914 aux environs de 30 milliards ; c’est donc plus de moitié du revenu national ancien que devra prendre l’impôt futur : à supposer que ce soit possible, ne sera-ce pas détruire sans recours les moyens d’existence de la majorité des Français, briser tout essor économique et arrêter la vie même du pays ? La France victorieuse sera-t-elle accablée à jamais sous le poids de sa victoire ?

Certes nous avons, avec des motifs d’anxiété, de légitimes raisons de confiance. Les forces morales dominent tout ici-bas : nous voulons donc espérer d’abord dans l’ascendant glorieux que notre France s’est acquis aux yeux du monde entier dans la guerre et par la guerre. Allié, ami, ou neutre, l’étranger sait ce qu’il lui doit : la liberté du monde. Justice est rendue à sa valeur comme à sa droiture. De toutes parts les témoignages lui en sont offerts. C’est ce que reconnaissent nos ennemis eux-mêmes : « de toutes les régions de l’univers, écrivait Maximilien Harden dans la Zukunft en août dernier, un grand et admirable courant d’affection, plus puissant que jamais au cours des siècles, afflue vers les Français... » Devant l’aréopage des peuples, la « douce France, » qui est aussi la « forte France, » a gagné en honneur, en respect, en crédit : c’est notre droit et notre fierté de le constater.

Nous voulons espérer aussi dans la force et l’autorité que donne à notre pays la victoire des armes dans une juste cause. La victoire sera-t-elle vaine au vainqueur, comme le prédisait Norman Angell, l’auteur de la Grande Illusion, avec les apôtres du pacifisme économique, ceux-là mêmes qui juraient autrefois qu’une grande guerre mondiale serait impossible, à raison de la complexité du monde moderne et de l’étroite inter-dépendance des intérêts de nation à nation, ceux-là mêmes encore qui assuraient qu’un envahisseur serait incapable de s’approprier la richesse matérielle d’un pays, à raison de ce qu’ils appelaient l’intangibilité du capital : la malheureuse Belgique et nos populations du Nord savent, hélas ! ce que valent de pareilles « illusions ! » Nous ne sommes pas de ceux qui crient Væ Victis ou Victoribus spolia. Nous n’avons pas fait la guerre