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le change à ses voisins. Un héritier plus probe de la pensée fénelonienne fut Stanislas Leczinski : celui-ci, pastichant le maître, écrivit en 1752 l’Entretien d’un Européen avec un insulaire du royaume de Dumocala : royaume imaginaire et symbolique, dont la capitale ressemblait moitié à Nancy, moitié à Salante. Mais en deçà de la Prusse, en deçà de Dumocala, on vit la bonne volonté d’un de nos dauphins se mettre à l’école de Fénelon : il devait s’appeler Louis XVI.

Elève appliqué, élève studieux par excellence, il aligna dans un cahier vingt-six Maximes extraites par lui du Télémaque, et en 1766 il les fit imprimer. C’était là son petit bréviaire de futur souverain. Monté sur le trône, il tint à faire rééditer les Directions pour la conscience d’un roi. « Pourquoi en ferais-je mystère au public ? expliquait-il à son confesseur’. Je n’y ai pas intérêt, puisque je suis résolu à remplir tous mes devoirs ; et il serait fâcheux pour mes successeurs qu’un aussi bon livre vînt à se perdre. »

Bien qu’il n’eût rien d’un tyran, il devait connaître la « révolution soudaine » et puis le « renversement » que l’une des maximes extraites par lui du Télémaque présentait aux princes comme un châtiment de la tyrannie. Il ne lui servit de rien, devant les hommes au moins, d’avoir copié les enseignements féneloniens, et de les avoir médités, et de les avoir imprimés, et de s’être évertué à les appliquer. N’était-ce qu’un cri de son cœur déçu, ou bien était-ce encore une suprême et fidèle réminiscence de Mentor, lorsque, dans son testament, écrit au fond de la prison du Temple, il parlait du « malheur » de régner ?


IV

A l’écart des rois qui s’examinaient à la lumière de Fénelon, à l’écart des Jésuites qui, gagnés par l’attrait du Télémaque, déclaraient trouver dans ce livre « ce que la politique et la morale ont de plus profond, de plus noble et de plus utile, » les philosophes, eux, cherchaient dans Fénelon des occasions de fronder les rois, et parfois même l’Eglise ; et ces occasions surgissaient. Une ligne de Ramsay, — toujours lui, — les aidait dans leurs recherches et leur donnait à demi licence de solliciter audacieusement la pensée fénelonienne. Il avait un jour écrit à