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Les conséquences éventuelles de ces enseignements féneloniens n’étaient pas de nature à déplaire aux philosophes, plus soucieux de théories que des réalités de l’histoire, et moins attachés à la France qu’au genre humain. De trouver jusque dans le XVIIe siècle, jusque dans l’ombre même du Roi-Soleil, un précurseur pour quelques-unes de leurs doctrines et pour beaucoup de leurs rêves, cela leur faisait l’effet d’une bonne fortune. Et leur joie fut grande lorsqu’en 1747 et 1748 parut à Londres et puis à la Haye, sous des titres divers, cet Examen de conscience sur les devoirs de la royauté, qu’avait composé Fénelon pour son pupille. Là du moins, enfin, Fénelon parlait en prêtre ; il installait son élève en terre ferme, et non plus dans les nuées ou bien dans les enfers ; en termes excellents, il le mettait en présence de ces deux réalités : la réalité du pouvoir à exercer, la réalité de la morale chrétienne à appliquer.

Mais les philosophes, — Grimm nous en est témoin, — virent surtout, dans ce livre, « le détail de toutes les fautes que peut faire un monarque dans le gouvernement de ses États et la conduite de son peuple. » C’était, pour des esprits frondeurs, une aubaine qu’un tel catalogue : il devenait une sorte de guide, à l’usage de tous les Français, pour l’exploration des péchés royaux. On le réimprima fréquemment, durant toute la seconde moitié du siècle, sous le titre de Directions pour la conscience d’un roi ; et pour en accentuer la portée, on suivit toujours l’exemple de l’éditeur de la Haye, qui avait ajouté en supplément quelques pages de Ramsay, tirées de l’Essai sur le gouvernement civil. La publication de l’Examen de conscience avait été préparée, de longue date, par le marquis de Fénelon ; mais comme le diacre suit l’archevêque, on y faisait encore succéder à la pensée fénelonienne l’exégèse d’André-Michel Ramsay.

Et nunc reges intelligite... Volontiers les philosophes eussent-ils emprunté ce texte sacré pour arborer devant les rois la parole de l’archevêque. Trois souverains se rencontrèrent, pour se mettre à son école. Le premier s’appela Frédéric II : dès 1740, en bon philosophe, il célébrait dans son Anti-Machiavel l’idéal royal que nous dessine le Télémaque ; il y parlait, tout comme un autre, de « la funeste gloire des conquérants, qui tient à la barbarie, » et du bonheur qu’on éprouve à n’être que le premier magistrat de son peuple. Mais l’histoire atteste qu’il ne répétait ces édifiantes leçons que pour donner