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au psychologue de la pure amitié. Quant aux Jésuites, ils gardèrent à sa mémoire leur assistance constante, alors qu’ils n’avaient plus rien à attendre de lui. Pour libeller son épitaphe dans un latin lapidaire, un jésuite fut là, le Père Sanadon, docile à l’appel du marquis de Fénelon ; et le Père Porée, le maître de Voltaire, n’eut même pas besoin d’être prié, pour dédier au défunt de beaux distiques latins. Son confrère le Père Tournemine avait, du vivant même de Fénelon, mis une préface à l’Existence de Dieu, pour corriger le relent de malebranchisme qu’exhalaient certains passages ; il poursuivait en 1718, en tête des Œuvres philosophiques, ce rôle, curieux et subtil, d’un censeur qui se fait avocat, et qui ne lit un livre avec sévérité que pour le présenter ensuite avec indulgence. Les Mémoires historiques et chronologiques du Père d’Avrigny, en 1722, mirent en si belle posture Fénelon, dans leur récit de la querelle quiétiste, que dix ans plus tard, lors de la mêlée nouvelle qui mit aux prises féneloniens et bossuétistes, ceux-ci stigmatisèrent d’Avrigny comme un auteur » partial. »

Nulles polémiques, cependant, chez les écrivains de la Compagnie, contre la mémoire de Bossuet : leur souci serait de montrer, plutôt, qu’en matière de mystique M de Meaux n’est pas si loin de M. de Cambrai que le pense le commun des esprits.

Voyez, par exemple, l’Instruction spirituelle en forme de dialogues, que publie en 1741 le P. de Caussade : c’est Bossuet qui sans relâche y parle, le Bossuet des États d’oraison, et ce Bossuet est si ingénieusement présenté qu’il y donne l’impression, moins inexacte peut-être que ne le croit M. Cherel [1], d’enseigner à sa façon une doctrine du pur amour, où ne souffle pas l’esprit de Mme Guyon. L’habile petit livre amortissait merveilleusement les heurts entre M. de Meaux, qu’il faisait parler, et M. de Cambrai, qui s’y taisait ; et c’est le crédit de ce dernier qui y gagnait. L’abbé de Brion, dans sa Vraie et fausse spiritualité, semblait bien viser les Jésuites lorsqu’il écrivait : « Des communautés d’hommes considérables, et qui se croient très distingués dans l’Eglise, ont une si haute estime des écrits de Fénelon, qu’on les lit en plein réfectoire. »

On les lisait et on les faisait lire ; à mesure que se succédaient les publications posthumes ou les réimpressions, les

  1. Lire à ce sujet Henri Bremond, Apologie pour Fénelon, p. 437-441 (Paris, Perrin, 1910).