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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

France, qui apportait la Liberté, apportait aussi la pure farine blanche. Le règne du pain noir finissait et cela aussi faisait image.

Entre Mulhouse et Thann, soudain la nuit s’éclaira de grandes lueurs : les gamins mettaient le feu aux masques de papier tressé, séchés par trois années d’usage et qui, tout le long des routes, flambaient magnifiquement. C’était le bouquet du feu d’artifice : Mulhouse apparaissait au loin comme enveloppée d’une auréole de feu.

LA DESCENTE DES VOSGES

Au moment où, dans un délire de joie, Mulhouse accueillait Hirschauer, nos troupes, sous un gai soleil, descendaient des Vosges vers l’Alsace par les routes en lacets. On les vit entrer au commencement de l’après-midi à Dagsbourg, Schirmeck, Saales, Sainte-Marie-aux-Mines, Munster ; déjà quelques éléments avancés se montraient aux portes de Schlestadt. Le 18, les Français franchissaient le col de Saverne ; les avant-gardes s’installaient à Wasselonne, et le général Messimy faisait à Colmar une entrée que, j’y reviendrai, l’émotion publique transformait en triomphe. Cependant, toutes les charmantes petites villes alsaciennes de la région : Marmoutier, Wasselonne, Molsheim, Obernai, Barr, Ribeauvillé, et jusqu’aux plus petits villages, faisaient fête à nos troupes.

En ces deux premiers jours, ce fut dans les Vosges alsaciennes un bruissement d’armes, — et un bruissement de baisers. J’ai dit quelle était la tension des esprits et des cœurs en cette vigile du 16 où, le cœur battant, la région attendait les libérateurs. Pas de partie de l’Alsace restée plus ardemment française ; les habitants de Schirmeck ou de Sainte-Marie, tout voisins de Saint-Dié, sont des petits-fils de Lorrains, mais à Ribeauvillé ou à Saverne les Alsaciens ne sont pas des Français moins chauds. Durant de longues années de servitude, le voisinage de la France les a en quelque sorte tous étayés. « Le petit joue au soldat, » me disait, en 1900, un hôtelier de Sainte-Marie, tandis que le gamin défilait seul, pour son plaisir, un clairon aux lèvres, devant un général imaginaire. « Il a donc vu des soldats ! Vous n’avez cependant pas de garnison ? — Pensez-vous, monsieur, se récriait le père, pensez-vous qu’il irait imiter