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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

« Vive ! vive ! vive la France ! » On ne se blasait point. En vain nos troupes essaient-elles de garder quelque impassibilité. Dans les rangs peu à peu les yeux se mouillent, les bouches sourient. Plus un fusil bientôt qui n’ait son bouquet, pas un sabre dont la garde n’ait sa gerbe, pas une poitrine sans quelques fleurs ; certaines en sont cuirassées. Par les rues larges de la grande cité, le général Hirschauer continuait à s’avancer, saluant avec une gravité émue, les yeux parfois brillants de larmes. Au vol, j’entendais : « Quel beau général ! Ça, c’est un vrai chef français ! Tu as vu comme il a souri en passant ! — Et l’autre, le bleu, qui est-ce ? — Qu’est-ce que ça fait ? C’est des Français. »

Vous avez raison, Lisel, Suzel ou Katel, vous avez raison ! Qu’Hirschauer et Mitry aient bravement combattu, que la France connaisse leurs noms et sache leurs exploits, peu importe ici : avec eux, c’est la France qui entre et qu’on fête ! « C’est des Français. »

Le général a arrêté son cheval : les vétérans, vieilles barbiches d’autrefois et moustaches blanches, l’essaim des Alsaciennes à papillon, — des milliers, — les tout jeunes gens des sociétés sportives, le conseil municipal aux écharpes tricolores, se massent autour de lui : le défilé commence.

Ah ! quel défilé ! À Metz, à Strasbourg, à Colmar, quand les très grands chefs entreront, du 19 au 25, on aura eu le temps de se préparer, les troupes auront parfois rafraîchi la tenue, raccommodé les capotes, fourbi les casques. Mais ces hommes qui défilent ici, à peine sortent-ils des combats et ils ont fait de rudes marches pour gagner l’Alsace. Ils sont hâves, la figure fatiguée des dernières luttes et ces capotes, usées, lavées par les pluies, rongées par les boues, évoquent ces autres grands soldats d’une autre grande époque qu’a chantés Béranger :

Ces habits bleus par la victoire usés…

Oui, c’est bien le Poilu : le casque encore bossue, les habits élimés, un régiment réduit à quelques compagnies, une compagnie de soixante hommes, le corps sortant de la fournaise d’hier comme le drapeau qui le domine, — déchiqueté et pâli, — d’autant plus superbe, d’autant plus acclamé. Et sur tous ces habits bleus, des fleurs, des fleurs, des fleurs ! Le Général qui regarde passer ces braves, émerge des fleurs. Soudain une petite