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ni l’île de Stromboli, ni le Mongibello (l’Etna) quand le torrent sulfureux se fraye un chemin par le cratère de la montagne, fulminant des pierres et des cendres à travers les airs pendant que la bouche du volcan lance des flammes ; ni les flancs du Mongibello quand ils vomissent la lave mal contenue et que celle-ci renverse tous les obstacles de sa furie impétueuse ne font autant de fracas, — que n’en fait le désir insatiable de savoir dans le cœur de l’homme... Entraîné par ma volonté avide, désireuse de voir la grande mixture des formes étranges et variées de l’artificieuse nature, j’errai longtemps parmi les rochers sombres et je parvins à l’entrée d’une grande caverne... N’ayant jamais vu pareil gouffre, je restai quelque temps stupéfait, courbé sur mes reins et les mains appuyées sur mes genoux. De ma main droite je fis les ténèbres sur mes paupières fermées. Puis, me tournant de droite et de gauche, j’essayai de voir ce qu’il y avait dans la caverne. Mais cela me fut impossible à cause de la grande obscurité. Je restai ainsi quelque temps ; puis, simultanément, s’éveillèrent en moi deux sentiments contraires : la peur et le désir ; peur de la spélonque menaçante et obscure, désir de voir s’il y avait là dedans quelque chose de miraculeux... » [1]

Cette page du maître est le plus éloquent commentaire de son Agonie de la Méduse.

Dans son long voyage à travers les arcanes de la nature, Léonard avait trouvé, tout au fond, le mystère du mal. Il l’avait regardé en face, il en avait peint l’image et en quelque sorte la genèse comme jamais personne ne la peignit. Mais il n’osa pas aller plus loin dans la caverne. La peur avait été plus forte que le désir. — Il recula.


III. — LA FRESQUE DE SAINTE -MARIE DES GRACES. LA TÊTE DU CHRIST ET LE MYSTÈRE DU DIVIN

Un abîme sépare Léonard de ses grands rivaux, Raphaël, Michel-Ange et le Corrège. Chez ceux-ci règne l’unité parfaite entre la pensée religieuse et philosophique (ce qui, au point de vue de l’art, est un avantage évident). Chez Léonard, il y a scission entre le penseur et l’artiste. Lorsqu’on revoit ses

  1. Solmi, Frammanti di Leonardo da Vinci, p. 109.