Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

tenue d’Alsace, les uniformes des petits hommes repris aux vieilles panoplies d’étrennes, les rubans tricolores à toutes les poitrines, les flots tricolores à tous les chapeaux font de cette sortie de messe quelque chose de charmant, et pour nous, en cette toute première heure, de vraiment incroyable. Là, comme devant la mairie, un moment d’effarement dans la foule : « Mais ce sont des officiers français ! » Déjà nous ne sommes plus les seuls : pendant la messe, une dizaine d’officiers de l’état-major Hirschauer sont arrivés en ville. On nous interroge : « À quelle heure arrive le général ? — À midi ! » et j’ajoute : « Heure française ! » — « C’est vrai, s’écrie un papillon, l’air fort animé, c’est vrai aussi, on a oublié l’horloge (et la jeune fille montre le clocher), c’est honteux d’avoir cette sale heure de Berlin ! » Encore une joie : avoir d’un mot fait changer « la sale heure de Berlin ; » le cadran qui marquait dix heures ne va plus en marquer que neuf et, dans son exaltation, un autre papillon crie : « On aura été Français une heure plus tôt ! »

Sur la place de l’Hôtel-de-Ville, la foule grossissait : sur le perron, quelques officiers s’entretenaient avec les conseillers ; nous entrons dans le vestibule ; deux prêtres y pénètrent comme portés par des ailes, la figure extasiée ; on s’embrasse. L’un d’eux est le curé de Saint-Joseph, l’historien de Winterer, l’abbé Cetty, qui tout à l’heure va tomber mort, succombant à la joie qui en effet rayonne, dans l’expression exacte du mot, de tout son être. Ils sont d’ailleurs tous deux dans un tel état que déjà tout dépasse mon attente.

« Allons au-devant du général ! » Il entrait par Dornach à la tête de la 168e division (général Manivielle), ou plutôt quelques-unes de ses troupes : un escadron de cavalerie, une compagnie du génie, le 344e de ligne, des batteries.

Il était, cet Alsacien, à cette heure, un privilégié parmi les privilégiés. Le premier de tous ses frères d’armes de la grande guerre, il faisait rentrer la France en Alsace. Il faut se le figurer, ce général Hirschauer, droit sur son cheval, figure de l’Est, forte carrure, puissante tête, et dans la face aux larges méplats où la forte moustache met une note énergique de plus, le regard fin, pénétrant, facilement railleur ; mais émerveillé, stupéfait en dépit de son attente, manifestement bouleversé, il cheminait déjà sur les fleurs semant le sol,