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Vinci. Sans parler de la beauté de son corps qui ne saurait être assez louée, il apportait en chacun de ses actes une grâce plus qu’infinie ; il acquit un tel talent que, vers quelque difficulté qu’il lui plût de se tourner, il la résolvait sans peine. Sa force était très grande et jointe à l’adresse ; son esprit et son courage eurent toujours un caractère magnanime, et la renommée de son nom s’étendit à ce point que non seulement il fut célèbre de son vivant, mais que depuis sa mort sa gloire a grandi. Vraiment admirable et céleste fut Léonard, fils de ser Piero da Vinci. »

Cet homme, que tout le monde admirait et que personne ne connaissait à fond, pouvait tout entreprendre. Il était sur de réussir en toute chose en y concentrant sa volonté. Mais quel était son vouloir intime ? Quelle voie allait-il choisir parmi toutes celles qui s’ouvraient devant lui en perspectives tentatrices ? Sous ses désirs multiples, sous ses fantaisies changeantes, se cachait une ambition profonde, une seule, mais impérieuse et tenace. Il méprisait ce qui fait l’enjeu ordinaire de la vie. Ni la volupté, ni la richesse, ni le pouvoir, ni même la gloire dans le sens vulgaire du mot ne l’attiraient. Mais une immense curiosité occupait tous ses instants et possédait tout son être. Sa pensée embrassait le monde visible d’un regard circulaire et d’une vaste sympathie. Deviner l’essence des astres et de la lumière, de la terre et de ses éléments, de ses règnes superposés, des animaux innombrables, de l’homme et de l’âme invisible qui le mène ; pénétrer l’esprit qui gouverne ce grand tout de sa puissante harmonie... et puis procurer aux hommes plus de joie, plus de bonheur, en leur versant, par la magie de l’art, cette harmonie conquise... Tel fut le rêve de Léonard au seuil de sa carrière. Ce rêve prit un jour la forme d’une véritable hallucination.

Dans la préface de son Tesoretto, Brunetto Latini, qui fut le maître de Dante, raconte un songe qu’il fit et qui lui inspira, dit-il, son livre où sont rassemblées quelques-unes des merveilles alors peu connues de l’univers. Au bord d’une épaisse forêt, dont il cherchait vainement l’entrée, il vit une belle femme qui semblait l’attendre. Il lui demanda s’il n’y avait aucun chemin dans ce bois. Alors elle le mena par un étroit sentier jusqu’à une clairière, d’où il aperçut une montagne superbe aux cavernes profondes et aux cimes altières. « Qui es-tu ? demanda le voyageur. — Je suis la Nature, » répondit la