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complexes d’épisodes aussi variés, on se formera quelque idée de ce que fut, en ces journées, la tâche de notre infanterie.

Pour l’ennemi, qui avait failli être rompu, pour nous aussi, le principal enseignement de la bataille de Champagne fut qu’à l’avenir le défenseur devrait s’enfoncer dans un labyrinthe de plus en plus emmêlé de caves bétonnées et de blockhaus blindés, doublé, triplé à l’arrière par d’autres lignes de positions d’arrêt, sur lesquelles des effectifs relativement faibles pussent tenir jusqu’à l’arrivée des réserves stratégiques. Les Allemands déployèrent toute leur énergie à exécuter ce programme, et la photographie aérienne, qui commençait alors à rendre de grands services, nous fit suivre au jour le jour les progrès de la nouvelle zone défensive qu’organisaient pour eux d’innombrables prisonniers russes. Nous nous appliquions aussi, mais avec de chétives ressources en main-d’œuvre, à nous organiser pareillement en profondeur. L’année 1915 s’acheva ainsi.


Quand on regarde comment nous l’avons employée, on se demande si l’histoire ne jugera pas que, des quatre années vénérables, celle-là est la plus vénérable.

Il avait fallu, en 1915, nous adapter à l’improviste aux conditions d’une guerre de siège sans l’assistance de nos provinces du Nord, les plus riches, les mieux outillées industriellement. L’ennemi campe à vingt lieues de notre capitale. Crise des munitions, crise des harnachements, crise des éclatements de canons de 75, crise des cadres : les Allemands, qui regardent, et qui ont dressé de bonnes statistiques, prédisent chaque jour que demain la France devra mettre bas les armes. Pourtant elle tient, elle rouvre, repeuple, réorganise les usines qui lui restent, en établit d’autres ; elle renouvelle son armement canons lourds, canons de tranchées, poudres, explosifs, avions et pour l’infanterie, engins jusqu’alors inconnus, qui n’inter viendront que l’an d’après dans les batailles, mais que déjà elle a inventés et qu’elle forge mystérieusement : c’est un incomparable déploiement d’énergie créatrice. Comment fut-ce possible ? Où ses inventeurs puisent-ils la force pour inventer, ses organisateurs pour organiser ? Qui leur donne la confiance ? Certes, le fantassin misérable d’alors. Le miracle de la Marne,