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A neuf heures, une attaque allemande se prépare. Une de nos batteries de 75 vient s’établir près de nous : la danse commence pour les Boches. Nous allons dans une petite tranchée, sons des pommiers. Obus, puis balles. Les Allemands bombardent furieusement Andechy, qui est en feu. A la nuit tombante, ils chargent encore en masse. Leur sonnerie lugubre perce la nuit. Devant le nombre nos troupes se replient. Andechy est occupé par l’ennemi. Toute la nuit je suis le colonel à travers la campagne pour chercher des emplacements de tranchée préparés par le génie. A deux heures, je me couche enfin dans une meule de paille. J’y suis très bien.

Mercredi, 7 octobre. — A cinq heures, debout ! Il fait très froid. On fait un peu de feu près d’un petit bois. A six heures, arrive de la division l’ordre d’attaquer Andechy de suite. On rassemble le régiment et on part en masse...


« On part en masse ».. » Et ainsi sans fin. Jamais chez ce noble enfant, une récrimination contre la patrie, jamais un doute sur elle. S’est-il jamais posé, sur les défauts de notre préparation militaire, l’une quelconque des questions que nous posions tout à l’heure ? Non, assurément, ni lui, ni aucun de ses pareils. Grandeurs et misères, ils avaient accepté toute la France. Et peut-être n’eurent-ils pas si grand tort.

Certes, la France aurait pu, dans les années qui ont précédé l’agression germanique, doubler, tripler son effort, — supposé que les Allemands l’eussent laissée faire. Supposé qu’elle eût pu savoir l’heure, et seuls les Allemands savaient l’heure, elle aurait pu laisser là ses autres tâches et se transformer toute en un camp retranché [1]. Certes, elle n’a pas été rien que Sparte : trop de ses fils d’ailleurs avaient cru qu’il leur suffirait de maudire la guerre pour en conjurer la menace et de restreindre

  1. L’heure choisie par eux fut celle où nos Chambres venaient de prendre toutes dispositions pour hâter l’exécution d’un nouveau programme d’armement nécessité par les récents accroissements de l’armement dans l’armée allemande. En mars 1912, quand est arrêté notre projet de budget pour 1913. il est convenu entre le ministre des Finances et le ministre de la Guerre que celui-ci sera autorisé à engager, en vue de l’accélération du programme d’armement, 31 300 000 fr. de dépenses, crédits qu’en octobre 1913 M. Millerand annonce devoir être majorés de 13000 000 de francs pour les camps d’instruction. Le 19 décembre 1913, un état de dépenses à engager en plus des prévisions budgétaires normales pour assurer l’exécution de fabrications et travaux urgents était arrêté par le ministre de la Guerre à 604 950 000 francs (dont 3 000 000 pour le Service de santé, 28 000 000 pour l’intendance, 241 000 000 pour le Génie, 36 000 000 pour l’Artillerie). C’est ce programme qui, augmenté des dépenses afférentes à la loi de trois ans, fut voté le 15 juillet 1914.