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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

je croyais les entendre s’acheminant vers les petites villes où, dans le décor si familier que j’évoquais facilement, nos soldats allaient entrer le lendemain sous le soleil d’une radieuse journée et au milieu du délire des Alsaciens libérés : Dagsbourg en direction de Wasselonne, Schirmeck en direction de Molsheim, Saales en direction de Schlestadt, Sainte-Marie en direction de Ribeauvillé, Munster en direction de Colmar. Ne jouissant pas du don d’ubiquité, — quel regret aujourd’hui ! — je rejoignais, au delà de Saint-Amarin, à Bitschwiller, le grand chef qui demain entrerait à Mulhouse à la tête de ses troupes.

Le général Hirschauer est un Mulhousien. Et voilà encore qui donne l’impression que, dans cette merveilleuse chronique de la rentrée en Alsace-Lorraine, tout est à souhait : sur dix généraux d’armée, — exactement, — on a pu trouver un Mulhousien pour entrer à Mulhouse, Hirschauer, un Messin pour entrer à Metz, Mangin ; le gouverneur de Strasbourg sera un Alsacien, le gouverneur de Metz, un Lorrain ; le commandant du corps d’armée qui, le premier, entrera à Strasbourg, Vandenberg, sera de Phalsbourg ; le haut chef qui viendra à Neuf-Brisach aborder le Rhin, Herr, sera de Neuf-Brisach. Songeons, au regard de ce fait, que l’Allemagne n’a jamais pu obtenir de l’Alsace qu’une poignée d’officiers et un seul officier général : Scheuch.

Bref la France rentrant chez elle en Alsace, Hirschauer plus spécialement rentrait chez lui à Mulhouse. Hirschauer ! Hier il commandait l’armée de Verdun, bien digne par les services rendus de succéder, en cet historique quartier général de Souilly, à un Pétain, à un Nivelle et à un Guillaumat, — série hors pair. Pétain est général en chef, Nivelle l’a été, Guillaumat commandait naguère, lui aussi en chef, l’armée d’Orient, mais je crois bien que, ce soir du 16, leur successeur Hirschauer n’échangerait point contre un commandement en chef la mission d’entrer le premier dans la première ville alsacienne recouvrée.

« Mon général, à quelle heure entrez-vous ? — À midi. — Puis-je vous précéder ? — Hum ! En principe, non. En fait, oui, si vous voulez. » Je sentais fort bien l’énormité de la requête et, partant, apprécie à son prix la valeur du privilège : il ne tient plus qu’à moi d’entrer, premier officier, dans cette première ville alsacienne.