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la Course à la Mer, l’Yser, Ypres ne sont que les épisodes solidaires d’une bataille unique de plus de deux mois, et c’est la série entière de ces épisodes qu’il s’agit de considérer comme un bloc.


Oui, notre infanterie, aux premiers jours, s’était partout précipitée à l’offensive avec une fougue conforme à l’esprit de son dressage, et parfois avec la plus téméraire intrépidité. Les témoignages français, allemands, abondent, unanimes, et le souvenir m’obsède encore, à quatre ans de distance, d’un récit que j’ai rencontré, aux premiers mois de la guerre, dans le carnet de route d’un fusilier prussien : deux belles compagnies de zouaves se sont lancées de très loin à l’assaut d’une position, à travers un champ dénudé ; de face, de flanc, les mitrailleuses allemandes se dévoilent ; ils s’acharnent ; leur jeune force brillante tourbillonne sous la rafale, se ranime par instants, chancelle ; ils tombent par grappes, puis un à un, tous jusqu’au dernier ; et la page écrite par leur ennemi est toute baignée d’admiration pour eux et d’une sorte d’horreur sacrée. En tant de combats, tant d’officiers chargèrent en avant de leur compagnie, ou de leur bataillon ou même de leur régiment, la poitrine chamarrée d’or, comme pour attester à la fois la bravoure de notre infanterie et son inexpérience ! De cette bravoure et de cette inexpérience, leur sacrifice reste en effet le symbole magnifique et désolant.

Mais ce fut, au début, chez les Allemands, dans le combat offensif, la même tactique forcenée : près du bois de la Marfée, par exemple, le 27 août, quand nos soldats de la 21e division les virent descendre des hauteurs de Noyers, drapeaux au vent, au son des tambours et des fifres, et marcher contre nos tranchées en de profondes colonnes par quatre, que l’artillerie française, tirant de plein fouet, massacrait. Dès le temps de paix, pour le dressage de l’infanterie, nous nous étions prévalus de notre furia francese ; mais eux, ils avaient compté sur son digne pendant, le furor teutonicus, non moins justement que nous, non moins imprudemment. Non moins utilement aussi, semble-t-il : peut-être (la jeune armée américaine n’en a-t-elle pas offert un tout récent exemple ?) une loi mystérieuse, universelle, commande-t-elle, malgré les expériences d’autrui.