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A l’heure où l’on compte les pertes,
Ceux que l’on nomme les Poilus,
Je les ai vus près de ce Perthes
Que l’on appelle les Hurlus.
J’ai vu, sur les rondins sylvestres,
S’asseoir ces Archanges terrestres,
Habilles d’un azur terreux ;
Car leur symbole involontaire,
C’est que, sous le gris de leur terre,
Ils sont du bleu de tous les cieux !

La torpille non explosée
S’enfonçait au flanc du ravin,
Et des Ombres, dans la rosée,
Apportaient le pain et le vin ;
Le canon d’un bosquet sinistre
Rayait de feu le ciel de bistre ;
Et là, sans l’avoir mérité,
Près des, Croix que la pluie écorce,
Je les ai vus. J’ai vu leur force,
Leur gravité, leur vérité.

Sur la ronce qu’elle cisaille
Avant d’aller mourir pour nous,
J’ai vu cette sainte Bleusaille
Devant qui l’on tombe à genoux !
Bleusaille ! mot gouailleur et triste !
Mot qui sent le peuple et l’artiste !
Qui contient Danton et Watteau,
Le paysage et la colère.
Tout le bleu du sang populaire
Coulant pour le bleu du coteau !

Et je me disais, dans cette ombre :
Les voilà, ceux dont il est dit :
« N’a pas cessé, malgré le nombre…
N’a pas cessé d’être hardi...
D’avoir du calme. . du courage…