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animaux en ont la sensation, parce qu’ils sont plus près que nous de la nature ; comme eux, Zineb entend sourdre la vie universelle, et se sent finir d’une façon et commencer de l’autre. Cette étrange méditation sur la mort se termine par les vers fameux :


J’entre dans l’infini ; mon fils, je sors du nombre.
Bientôt je saurai tout et ne verrai plus rien
Que lui. J’entends bruire un monde aérien.
Mon fils, à l’agonie il faut la solitude.
L’âme tremblante prend sa dernière attitude.
La rentrée au mystère est un suprême aveu ;
L’âme, qui se met nue en présence de Dieu,
Et qui se sent par lui vue au fond de l’abîme,
A besoin d’être seule en sa honte sublime.
Devant Dieu, sa beauté paraît, sa laideur fond ;
Il faut au dernier souffle un espace profond.
Le silence, nul pas, nul cri, nulle prunelle,
Une noirceur sans bruit, la nuée éternelle,
Un vide lumineux, ténébreux, ébloui,
L’homme absent, et le monde immense évanoui.


Ces vers sont parmi les plus beaux qu’ait écrits Victor Hugo. Dans toute son œuvre de la période apocalyptique, il n’est rien de plus vraiment inspiré que cette sombre rêverie sur la Nature et la Mort, qui a la grandeur de l’une et la majesté de l’autre.

Mme Segond-Weber a dit le rôle de Zineb avec toute son ardente conviction et un trémolo de mélodrame qui n’était pas mal de circonstance. Et M. de Féraudy a été un merveilleux Aïrolo. Il ne fallait pas moins que son art de composition et sa souplesse pour prêter un air de vie, un semblant d’existence à ce gueux truculent.


Cette représentation de Mangeront-ils ? n’est, à tout prendre, qu’une récitation dans un décor. Elle ne s’imposait pas, mais elle ne fait de mal à personne. Ce qui est inadmissible et indéfendable, c’est la représentation d’Aymerillot. Quoi. Aymerillot, celui de la Légende des Siècles ? Lui-même : il n’y en a pas d’autre. On le joue à la Comédie-Française !... Un défilé dans la montagne. Charlemagne est à cheval entouré de ses barons. Du haut de sa monture, il interpelle ces fiers guerriers, qui, l’un après l’autre, à l’appel de leur nom, sortent des rangs et viennent déclarer qu’ils ne veulent plus se battre. Une simple remarque suffit à montrer, avec l’éclat de l’évidence, ce qu’a de baroque cette adaptation forcée à la scène. Aymerillot, si je suis bien informé, est un récit épique. Donc, chaque fois