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qui n’a point annoncé le poète des Nuits, s’il l’a devancé. D’ailleurs, Sandeau trouvait la muse de ce jeune homme bien fatiguée et l’engageait à s’en aller faire un tour en Italie. Son article est du mois de juillet 1833 : et, vers la fin de la même année, Musset partait pour l’Italie avec la moitié de Sandeau, George Sand.

Les objections que la critique formulait contre ce grand poète irrégulier ne troublaient pas François Buloz. Il lui arrivait pourtant de réclamer des corrections, dans les cas de négligence trop voyante. Et Musset : « J’ai passé la nuit en votre honneur à refaire mes vers. Ne vous effrayez pas, s’Ils vous semblent un peu excentriques, je vous en prie ; j’en brave les dangers. » Et Buloz était content. Les petites lettres du poète à son directeur ne traitent pas tout uniment de poésie : « Mon cher ami, vous m’avez proposé hier de m’envoyer quelque chose aujourd’hui ; le pouvez-vous ? Votre très panier percé serviteur. » Ou bien : « Mon cher ami, je suis gai ce matin comme une potée de cadavres. Vous est-il possible de me donner cent francs pour me débarrasser d’une affaire très ennuyeuse et passablement dégoûtante ? » Ou bien : « Donnez-moi cinquante francs. Quand j’ai travaillé, il faut que je sorte ; autrement, ça ne va pas ! » François Buloz avait la même obligeance pour George Sand ; et le « compte de Madame Dudevant, » à l’année 1836, est varié : « 27 avril, payé loyer… 4 mai, payé la couturière… Son marchand de bois… Sa bonne… « Etc. Le tout, payé par la Revue. Il est vrai que le loyer dépasse à peine cent cinquante francs, au terme d’avril ; et, quant à la couturière, on s’en débarrasse pour quatre-vingt-douze francs : mais la bonne, c’est plus cher, quatre cent trente-neuf francs et des centimes. George Sand et Musset font de Buloz, ou à peu près, ce. qu’ils veulent ; la bonhomie de Buloz, avec eux, est charmante.

Et ils mettent un peu rudement sa bonhomie à l’épreuve, quand ils s’en vont à Venise. François Buloz était un excellent bourgeois et qui pratiquait avec l’assiduité la meilleure les vertus de la bourgeoisie. Mais il n’avait pas de pharisaïsme : c’est bien heureux ! George Sand et Musset firent connaissance, à dîner, invités par lui. Certes il ne devinait pas du tout les conséquences de ce repas ; et Elle non plus, qui tout simplement le remercie d’un « très bon dîner. » Vers ce moment parurent, dans la Revue, des fragments de Lélia. Et, sur Lélia, M. Capo de Feuillide, rédacteur en chef de l’Europe littéraire, écrivait : « Le jour où vous ouvrirez ce livre, renfermez-vous dans votre cabinet. Si vous avez une fille dont vous voulez que l’âme reste vierge et naïve, envoyez-la jouer aux champs avec ses compagnes.