Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/688

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de chaque jour qui ne sont pas acclamées et qui, dans le silence, composent les vies parfaites. .

Fontaney était poète et critique. C’est aujourd’hui comme s’il n’avait pas écrit, même vécu. La plupart de ses chroniques, il les signait d’un pseudonyme, comme s’il devinait que ce ne fût pas la peine d’imprimer son pauvre nom promis au dédain. Quand Sainte-Beuve et Dubois allèrent sur le pré, Sainte-Beuve refusa de lâcher son parapluie, disant : « Je veux bien être tué, mais je ne veux pas être mouillé ! » — c’est Fontaney qui procura les pistolets : il les tenait d’un gendarme qu’il avait désarmé, à l’une des Glorieuses. Il était pauvre et, mélancolique au fond, se donnait avec soin l’air un peu anglais. Il épousa la fille de Marie Dorval ; et Gabrielle Dorval mourut bientôt. A l’enterrement de cette jeune femme, ce qu’on vit et qui parut digne de remarque, ce fut la rencontre de Victor Hugo et de Sainte-Beuve. dont la brouille était célèbre. Et, vers le printemps de la même année, mourut Fontaney à son tour.

Un autre qui mourut jeune, et mourut de fatigue et de travail, est Charles Labitte. Il était, dit Jules Simon, « résolu à réussir. » Et pourtant, à vingt ans, il débutait par un article sur Gabriel Naudé : pour réussir ?... Il était fort érudit. Cousin recourut à cette érudition d’un jeune homme. Et Sainte-Beuve lui posait « une quantité de petites questions. » Puis : « Mille remerciements, mon cher Labitte, de tous vos bons soins. Je les sens mieux que je ne vous le dis ; et j’en profite comme d’une chose toute simple, tant je compte sur votre amitié acquise. » Il mourut à vingt-neuf ans. Ce jour-là, Jules Simon, devant dîner avec lui, vient le chercher, sonne à sa porte, aucune réponse ; il sonne encore, et une bonne sœur entr’ouvre la porte. Elle dit : « Ne faites pas de bruit. — Est-ce qu’il est malade ? — Non, il est mort. » Mme Buloz écrivait peu après : « Tu ne saurais croire toute la douleur que cet événement me cause. Je ne considère pas la perte que la Revue fait en M. Labitte, qui était un de ses meilleurs collaborateurs, mais bien le vide affreux qu’il laisse dans notre intimité... Son charmant caractère, sa bonté, son esprit si vif et si aimable... Il est mort seul, absolument seul ; car son concierge, qui le soignait, l’a quitté à six heures et demie pour aller dîner, M. Labitte le lui ayant ordonné en disant qu’il voulait dormir... » Douce tentation, pour ces grands laborieux, le sommeil ! Mais ils ne savent pas dormir : et, croyant s’endormir, ils meurent. Charles Labitte, à la Revue, n’était pas utile seulement, mais indispensable. C’est au point qu’il vint demeurer rue des Beaux-Arts, en face de la