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le dos à ce pont-frontière que, depuis le matin, nous apercevions de la gare d’Herbestal, et nous restions très sceptiques quant à la direction qu’on donnerait à notre train.

Vers sept heures, on nous embarqua dans de malpropres wagons, la plupart sans vitres ; le train s’ébranla et nous partîmes vers la Belgique… Était-ce vraiment vers la liberté ?

Un soldat allemand monté dans un wagon voisin m’interpella et me conseilla d’engager mes compagnes à descendre en cours de route. Il prétendait avoir entendu des officiers parler de notre arrestation prochaine, soit à Verviers, soit dans une gare voisine, et de notre internement dans un camp ou une prison belge. Nous résolûmes néanmoins de continuer notre route, quoi qu’il en advînt. Vers onze heures, le train stoppa au milieu de la voie, dans l’obscurité la plus profonde. La locomotive fut détachée. Nous étions dans une gare annexe de Liége. Après avoir marché péniblement au milieu des rails et des fils de fer, nous arrivâmes, au nombre d’une trentaine, à une porte de sortie que gardaient trois Allemands. Ils furent si stupéfaits du récit que nous leur fîmes de notre libération et de la révolution à Cologne, qu’ils ne s’opposèrent pas à notre sortie.

Le groupe suivant, plus nombreux, fut maintenu en gare, menacé de passer la nuit à la Chartreuse, la grande prison de Liége, et ce n’est qu’à force de démarches qu’on l’autorisa à s’arrêter dans un abri de la Croix-Rouge. Nous gagnâmes péniblement la gare de Liége, et nous ne nous retrouvâmes qu’une dizaine pour prendre à minuit un train pour Bruxelles. Le désarroi le plus complet régnait dans la gare. Les soldats entassés dans le train que nous prîmes, ne savaient s’ils allaient à Anvers ou à Bruxelles. Nous ne fûmes assurées de sa direction que par un garde-frein belge qui eut pitié de nous. Nous partîmes à une heure du matin. À neuf heures et demie, le dimanche 10 novembre, nous entrions en gare de Louvain. Nous étions résolues à gagner Bruxelles directement, mais un officier vint nous ordonner de descendre, disant que le train n’allait pas plus loin.

Nous descendîmes et apprîmes quelques minutes plus tard, que les avions anglais, ayant survolé la ville la nuit précédente, avaient coupé les communications pour Bruxelles. Nous étions six : la comtesse de Belleville, quelques Françaises et la fille du commandant Belot de Louvain ; cette dernière nous