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CONDAMNÉE À MORT PAR LES ALLEMANDS.

sur la nourriture des prisonnières. Nous souffrîmes particulièrement de la faim, l’hiver 1916-1917. Nous touchions alors 175 grammes de pain chaque jour, le matin et à quatre heures, et on nous servait un breuvage qui n’avait du café que la couleur ; à midi, une soupe répugnante dans laquelle on avait cuit les pommes de terre avec leurs pelures ; le soir, un brouet clair où nageaient quelques grains d’orge. En moins de six semaines, trois petits enfants de moins de neuf mois moururent de faim. Nous avions en effet, dans la prison, quelques-uns de ces petits innocents. Les mamans avaient été arrêtées peu avant leur naissance ; ou bien, n’ayant personne à qui confier leur cher petit qu’elles nourrissaient, elles l’avaient amené avec elles. À neuf mois, ces enfants leur étaient enlevés pour être confiés à quelque mercenaire de la ville, et ce brusque changement dans le régime de la mère détermina plusieurs cas de folie.

Nous dépendions de la censure de Limburg pour la correspondance et les colis, et le tout nous arrivait très mal. Alors qu’on nous écrivait chaque semaine, nous étions quelquefois six mois sans nouvelles d’un des nôtres. Nous étions autorisées à recevoir deux colis de vivres par mois. Or, il fallait demander l’envoi d’au moins cinq colis mensuels pour être assuré d’en toucher deux, et dans quel état !… J’ai vu de mes compagnes trouver seulement une boîte de confitures, ou quelque autre objet de même nature ou de poids minime, dans un colis qui pesait 5 kilogs au moment de l’expédition. Limburg déclinait la responsabilité de ces pillages et l’attribuait à des malversations commises entre Limburg et Siegburg, ou bien, pour couper court à toutes réclamations, collait sur ces envois défectueux la formule : « Arrivé en mauvais état. » Beaucoup de colis n’arrivaient jamais, et les colis de linge et de vêtements féminins étaient plus spécialement volés.

Un mot sur nos compagnes décédées en Allemagne.

L’une d’elles, Léonie Macaire, de Saint-Quentin, fut contrainte d’épandre par seaux, sur le jardin, tout un tonneau de vidanges. Il faisait un froid vif : on était à la fin d’octobre. L’odeur infecte respirée depuis le matin l’empoisonnait ; on lui imposa de continuer le travail jusqu’au soir. Elle se coucha peu après, et ne se releva plus. Nous avons toujours pensé qu’elle avait été la première victime du typhus qui sévit deux mois plus tard.