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5 mètres ; mais jamais plus on ne nous présenta un travail à but suspect. Toutes les prisonnières auraient refusé de l’exécuter.

Voici les travaux auxquels nous étions astreintes. Quelques-unes brodaient pour les magasins, ou fabriquaient à la machine des boutons portant la marque : Made in England ; d’autres étaient employées à la buanderie, à la cuisine ou au service de leurs compagnes, ou encore allaient travailler aux champs par équipes chez les cultivateurs. Les plus à plaindre étaient celles qui étaient astreintes à travailler dans une briqueterie des environs. Les briques qu’on y fabriquait n’étaient pas des briques de nos constructions ordinaires ; c’étaient des briques de 4 à 5 kilogs que, terminées, ces femmes devaient charger en les lançant à bout de bras, à une hauteur déterminée. Incapables de supporter un travail aussi pénible, presque toutes celles qui y furent soumises contractèrent des maladies ou des infirmités de tous genres. On ne pouvait en être dispensé que sur avis favorable d’un médecin dont l’ignorance et la brutalité resteront légendaires pour les détenues de Siegburg. Il lui arriva souvent de refuser fût-ce un jour de repos à des femmes dont le malaise physique était évident ; il fallait marcher et travailler jusqu’à épuisement complet.

À la comtesse de Belleville qui se plaignait une fois qu’on minât la santé des prisonnières, il fut répondu : « Nous savons bien que nous minons vos santés : vous n’aviez qu’à ne pas travailler contre nous. » Lorsque Louise de Bettignies, victime de la cruauté du directeur et sur le point de subir une grave opération, sollicitait un chirurgien de son choix, professeur à Bonn, le directeur lui fit cette mémorable réponse : « Vous êtes une condamnée à mort, et vous n’avez droit qu’aux traitements dus aux criminelles. » Après de telles déclarations, on conçoit le régime draconien imposé par le directeur, et le dédain du docteur pour les souffrances de nos compagnes. Nous eûmes une épidémie de typhus en l’hiver 1917-1918 ; pour toutes précautions sanitaires, le docteur fit clouer deux planches en croix, et les fit placer à travers l’un des passages ouverts de la prison.


LE RÉGIME D’UNE PRISON ALLEMANDE

Le régime alimentaire dépendait du caprice du directeur, qui ne se faisait pas faute de réaliser de sérieux bénéfices