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CONDAMNÉE À MORT PAR LES ALLEMANDS.


NOS CONDAMNATIONS À MORT

Je ne crois pas qu’aucun de mes coaccusés ait eu à se plaindre de voies de faits de la part des magistrats instructeurs de notre affaire ; mais j’ai rencontré à Siegburg une de mes compagnes, Louise de Bettignies, qui avait eu plusieurs dents cassées par celui qui l’interrogeait. Le principal instructeur de notre affaire Heinrich Pinkhof était un bien misérable personnage, mais flatté de sa participation à un procès retentissant, il s’abstint de toutes violences matérielles et même affecta un respect obséquieux pour certains des accusés.

Le mardi 5 octobre, on nous annonça que nous serions jugés le 7. On vint en effet nous chercher au matin de ce jour en autos et voitures cellulaires. Au Sénat où devait se décider notre procès, les grands accusés, Miss Cavell, MM. Baucq, Cappiau, la Comtesse de Belleville et moi, étions gardés par deux soldats, baïonnette au canon.

On fit l’appel des accusés : nous étions trente-cinq. Les jurés firent le serment de juger sans partialité ; puis on nous fit évacuer la salle, où ne restèrent que les accusés de moindre importance. Les autres furent gardés militairement dans une salle voisine et étroitement surveillés pour éviter les communications. On rappela successivement devant le Conseil : Miss Cavell, moi, Baucq, Cappiau, etc… Chaque accusé était interrogé à nouveau sur quelques points reconnus et avoués pendant l’instruction. Cet interrogatoire était comme un bref résumé des faits relevés. Les avocats qui n’avaient pu ni voir leurs clients, ni consulter les dossiers, notaient au passage les faits saillants reprochés à chacun afin de pouvoir préparer leurs plaidoiries.

Après son interrogatoire, chaque accusé était invité à dire quel mobile l’avait poussé à travailler contre les armées allemandes. Tous les grands accusés et quelques autres avaient uniquement travaillé par patriotisme, ce que les Allemands reconnurent dans un article qui parut dans la Belgique. Seuls, quelques ouvriers reconnurent avoir travaillé par esprit de lucre. L’interrogatoire dura toute la journée.

Le lendemain vendredi, nous fûmes à nouveau conduits militairement au Sénat. L’auditeur militaire, Stœber, prononça le réquisitoire. Sous l’inculpation de recrutement en