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CONDAMNÉE À MORT PAR LES ALLEMANDS.

sillonnée par les autos allemandes. À la fin d’octobre 1914, les Allemands affichèrent dans chaque village que tous les soldats français ou alliés, restés en arrière des lignes devaient être déclarés à la mairie. Les sanctions les plus sévères étaient prévues contre les communes ou les particuliers qui ne se soumettraient pas à l’édit. Bien résolues à ne pas déclarer nos soldats, nous n’avions d’autre alternative que de les cacher. À huit kilomètres de chez nous, à l’orée Nord de la forêt de Mormal, à Obies, se trouvait une maison très écartée du village et habitée par un pauvre journalier qui y vivait seul avec un Anglais qu’il avait recueilli et caché. C’était ce qu’il fallait à nos hommes. Nous les y conduisîmes la nuit, et les patrons d’un estaminet voisin, également peu fréquenté, acceptèrent de ravitailler nos protégés.

Ceux qui n’ont pas souffert de l’occupation allemande ne sauraient imaginer les difficultés éprouvées par ceux qui cachaient des soldats alliés ou français. C’étaient d’incessantes perquisitions, la crainte continuelle d’une dénonciation. Il fallait, sans rien laisser soupçonner, pourvoir au ravitaillement ; or, les bouches étaient minutieusement comptées et les rations individuelles à peine suffisantes. En outre, dès qu’un renfort de troupes était signalé, on devait déplacer les hommes, leur chercher momentanément d’autres abris.

De toute nécessité, il fallait trouver un moyen de faire rejoindre le front à nos protégés. J’appris, d’autre part, que de nombreux soldats anglais et français se cachaient à Maroilles et aux environs. L’unique moyen de salut était le passage par la frontière hollandaise. La princesse de Croÿ mit son château de Bellignies à notre disposition pour nos haltes avec les soldats. Mais bientôt la difficulté de nous procurer des passeports qui variaient de village à village, nos trop fréquents passages de jour qui finirent par être remarqués dans les villages traversés, nous décidèrent à ne plus voyager que la nuit.

Vers huit heures du soir, alors que, d’après les ordres formels des Kommandanturs, la circulation était interdite, nous partions, une de mes amies, Mlle Moriamé et moi pour gagner le village où nous étions attendues. Nous marchions toute la nuit, l’oreille tendue dans la crainte des patrouilles, et nous n’arrivions souvent au but du voyage qu’aux premières heures du jour. La journée se passait en préparatifs de départ,