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à Orvillers-Sorel. Le commandant reprend auprès de lui ses fonctions d’adjoint. La mission du régiment était délicate. Il s’agissait d’occuper à l’improviste, sans renseignements, un terrain inconnu, ondulé, coupé de bois et de chemins creux, avec de gros villages au pied des pentes ou sur les sommets, qui pouvaient être autant de nids de mitrailleuses. On ne savait pas bien ce qu’on avait devant soi. Pas de liaison certaine à droite ni à gauche. Peu d’artillerie encore pour vous soutenir en arrière. C’est dans ces conditions qu’il fallait établir la ligne de manière à pouvoir dès le lendemain prendre l’offensive et se saisir avant l’ennemi des hauteurs de la Poste et de Boulogne-la-Grasse. Le commandant partageait son temps entre ses courses et les labeurs du commandement. Il était sur pieds depuis trois nuits. Enfin il dut, le 28 au soir, s’avouer brisé de fatigue et consentir à prendre quelques heures de sommeil. Il s’en excusait au P. Joyeux, dans ce coin de tranchée où ils reposaient ensemble : « Autrefois, disait-il, j’allais jusqu’à quatre nuits sans dormir ; maintenant je ne peux plus. » Ainsi il reposa quelques instants, et ce fut son avant-dernier sommeil sur cette terre, un soir de bataillé, au fond d’une tranchée, dans la nuit du jeudi au vendredi de la semaine sainte.

L’attaque du 28, à quatre heures du soir, insuffisamment étayée par l’artillerie (deux groupes lourds sur trois qui devaient l’appuyer manquaient) n’avait réussi à gagner que quelques centaines de mètres. A droite, elle s’était brisée sur la croupe de Conchy-les-Pots. A gauche, le 3e bataillon, qui s’était emparé de Boulogne-la-Grasse, avait dû évacuer le village pour ne pas s’exposer à y demeurer trop en flèche. L’affaire coûtait cher ; les pertes étaient graves. Le résultat était insignifiant sur le terrain ; en réalité, il était d’une portée incalculable. Le général en chef, en prescrivant aux zouaves un nouvel effort pour le 29, écrivait : « L’opération d’hier a eu des conséquences qui échappent aux exécutants et qui leur Valent la reconnaissance du pays. » Quelles conséquences ? C’est que cette action est une de celles grâce auxquelles la bataille pour Paris se détourne vers l’Ouest et finit en bataille d’Amiens. Les Allemands, surpris par ce direct en pleine figure, hésitent. Il fallait profiter du trouble et redoubler les coups. L’attaque du jeudi saint, reprise le vendredi 29 avec une furie sans égale, porta les zouaves d’un seul élan jusqu’au delà de