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tout le reste. Il n’y a pas plus de rapport entre une compagnie d’infanterie dans l’automne 1916 et ce qu’elle était en 1914, qu’entre une carabine de chasse et un tank-mitrailleur. La compagnie était devenue quelque chose de plus armé et de plus redoutable que n’était un bataillon du début de la guerre. Elle avait une puissance de feu et une variété d’outillage qui auraient comblé d’étonnement un capitaine de la vieille école. Elle fait une forme de combat aussi différente de la guerre de tranchées à la mode de 1915, que de la ligne de tirailleurs ou de la charge à la baïonnette.

Le fantassin n’est plus qu’un nom. Une compagnie d’infanterie, c’est un arsenal ambulant, ce sont des équipes de spécialistes : pionniers, grenadiers, mitrailleurs, bombardiers, fusiliers-mitrailleurs, nettoyeurs de tranchées, armés du browning et de la grenade axphyxiante, et toute la complexité des organes de liaison : coureurs, colombophiles, signaleurs, téléphonistes. Chacune de ces spécialités exige des écoles, un apprentissage ; après quoi, il reste, par des exercices nombreux, à accorder tous ces organes, à les faire fonctionner ensemble, à obtenir la cohésion. Tel est devenu aujourd’hui le métier de fantassin ; tel est le rôle d’instructeur de l’officier d’infanterie. Comme on s’explique le désastre russe ! Comment ces peuplades incultes, ces cosaques, ces moujiks, eussent-ils été capables d’un travail de ce genre ? En vérité, une guerre comme celle-ci suppose des efforts qui passent infiniment ceux même d’une vie humaine. Ge sont toutes nos traditions, c’est le travail et l’héritage de quarante générations de morts, c’est tout notre passé, toute notre conscience, ce sont quinze siècles d’histoire, quinze siècles de culture, de christianisme, d’éducation et de vertu... Voilà ce qui donne son sens à cette tragédie : toute la France contre toute l’Allemagne. Et c’est ce qui fait, dans l’immense drame, la beauté de Verdun ; jamais le génie français n’avait été soumis à pareille épreuve. Après l’avoir subie plus de six mois sans faiblir, il allait tout à coup en sortir par le triomphe.

Je ne raconterai pas après Henry Bordeaux la bataille du 24 octobre, cette sublime journée de Douaumont qui fit, dans cet anxieux automne de 1916, passer le frisson de la victoire [1].

  1. Voyez les Captifs délivrés, dans la Revue des 15 mai 1er et 15 juin 1917.