Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/628

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un des lieutenants de Gallieni à Madagascar, un Breton aigu à figure de corsaire, le général Guyot de Salins, c’est d’ailleurs une émulation, un merveilleux concours. Zouaves, tirailleurs, régiment mixte, régiment colonial du Maroc, quand vit-on un pareil assemblage ? Les zouaves naturellement sont les préférés de Clermont-Tonnerre, depuis leur colonel, Richaud, le « Richaud du zouave, » Marseillais avisé, héroïque et cordial, jusqu’au dernier de ses bonshommes qui l’adorent. Quels hommes ! En principe, les zouaves sont des troupes d’Algérie, avec un recrutement de colons et d’indigènes ; mais il y a dans le nombre beaucoup de gars de notre Midi, Languedoc et Provence, et puis, le temps aidant, l’ensemble s’est beaucoup panaché (en décembre 1916, le régiment s’est déjà renouvelé six fois) : il y a un peu de tout, des Basques, de la Touraine, de la Bretagne, au total des échantillons de toutes nos provinces, et ce sont maintenant de bonnes têtes rondes de chez nous qu’on voit sous la chéchia de drap rouge arborant le Croissant du prophète. En somme, une compagnie de zouaves dans l’été de 1916, c’est un abrégé de la France, un extrait de toutes ses essences et un cépage de tous ses crus. Quelle joie pour un Clermont-Tonnerre de respirer ces bonnes odeurs de la terre française ! Voilà le bon côté de la troupe. Cette société de soldats, c’est peut-être la société idéale.

Ici, plus trace de ces méfiances dont il a tant souffert. « Que de ressources et d’affection parmi les hommes ! écrit le capitaine Cochin, encore un traditionaliste et un ami des humbles. On se fait l’effet d’un grand seigneur du moyen âge. » On se figure que le peuple abhorre l’aristocrate. Quelle erreur ! « Des Clermont-Tonnerre, disait devant moi une métayère de Villers-Bocage, il ne faut pas, pour en trouver, beaucoup feuilleter l’histoire de France : il y en a à toutes les pages. » Pour cette bonne femme, son « noble, » c’était un peu de son patriotisme. Les hommes de la « treizième » partagent ce sentiment ; ils admirent leur chef, d’abord parce que c’est lui, mais ils sont flattés en outre de l’éclat de son nom, qui se confond pour eux avec ce qu’ils savent confusément du passé de la France. Ils se rendent compte en lui qu’ils sont les fils d’une vieille histoire. Ils trouvent naturel de se mettre en quatre pour lui et de lui procurer toutes les aises dont ils lui savent gré de se passer pour eux. Il est leur luxe. Peut-être que, rentrés chez