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bataille de Metz de 1870 mène presque au seuil de la bataille de Verdun de 1916. La voiture atteint bien vite Etain qui n’est plus que ruines : on entre là dans le coin de Woëvre qui, si ardemment disputé en 1915, fut abandonné dans la sinistre nuit du 24 au 25 février 1916 ; puis on aborde, les premières pentes des Hauts-de-Meuse franchies, le plateau Verdunois : c’est alors le plein chaos ; jusqu’à Souville, on foule le sol que, dix mois durant, dans des flots de sang, deux armées acharnées s’arrachèrent.

Le spectacle en est affreux : les villages ont disparu ; les collines même sont déformées, les vallons parfois presque comblés, les bois, si ravagés, le sol même si crevé, retourné, bouleversé que l’âme ne se peut défendre, avant tout, d’une poignante tristesse. J’ai connu ce coin encore vivant, habité et, sinon riant, il ne le fut jamais, du moins animé : quatorze mois, j’ai vécu sur ces côtes de Meuse, dans cette plaine de Woëvre ; j’ai cantonné, de longues semaines, dans ces villages, Fleury, Douaumont, Vaux, Damloup qui, très réellement, ont disparu du sol ; mon régiment tenait ces bourgs de Woëvre, Dieppe, Mogeville, Abaucourt, avait repris Fromezey aux portes d’Etain, que nous surveillions d’un œil jaloux par les créneaux des tranchées. Le séjour en ces villages était peu réjouissant : à les traverser, je me surprends aujourd’hui encore écoutant si l’obus n’arrive pas, annoncé par le sinistre sifflement.

Rien ne survit : les villages ne sont que pans de mur à l’Est des Côtes ; pas même un pan de mur à l’Ouest jusqu’à Verdun ; le sol est massacré. Il ne reste rien ni de l’œuvre des hommes ni de celle même de la nature. J’avais revu ce paysage lunaire, troué de grandes excavations, au moment où la bataille, en l’automne de 1916, prenait presque fin, mais les hommes animaient encore, emplissaient d’une vie fiévreuse ce désert de ruines. Aujourd’hui les années ont passé et l’ennemi repoussé, rejeté au delà du Rhin, la solitude s’est faite. Sous son herbe brûlée, sous les ronces naturelles mêlées aux ronces de fer des réseaux bouleversés, cette terre égorgée git, dégageant une indicible horreur.

Entre Tavannes et Souville, on rencontre le coin où, en juin, les deux ennemis se saisirent, en une minute décisive, à la gorge. Suivant que les soldats de Mangin cèderaient ou non,