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un aspect singulier de fête perpétuelle. La Marseillaise se chantait, de la salle du Parlement aux faubourgs populaires : le soir, on la dansait, comme les Athéniens dansaient la Pæan. Et on attendait cependant bien d’autres fêtes. Le Président était annoncé à Metz, Strasbourg, Colmar et Mulhouse. L’impatience amoureuse qui avait précédé l’entrée des troupes, renaissait à la nouvelle de cette visite. L’apothéose se préparait.


L’APOTHÉOSE

Du président Poincaré je ne dirai point ce que j’écrivais de nos généraux que leurs personnalités étaient d’ordinaire fort peu connues en Alsace-Lorraine. L’élection, en février 1912, d’un président lorrain avait eu entre Vosges et Rhin, plus encore entre Seille et Sarre, un très grand retentissement, mais, par surcroit, depuis les premiers jours de guerre, l’enragée campagne unanimement et constamment menée par la presse germanique contre le Président l’avait mis au tout premier rang, ainsi qu’il convenait, dans l’esprit des populations d’Alsace et de Lorraine. En faisant de lui l’homme du nationalisme français le plus ardent, « l’homme de la Revanche, » les journalistes salariés de l’Allemagne avaient travaillé, plus qu’homme au monde, à porter jusqu’au paroxysme la popularité de Raymond Poincaré dans nos provinces d’Alsace et de Lorraine.

Il allait, en trois jours fulgurants, voir grandir encore cette popularité, parce qu’en aucun cœur de Français le retour de ces provinces à la France ne pouvait avoir apporté plus de joie que dans le cœur de ce Lorrain, placé à la tête de la nation, parce qu’en aucune âme les manifestations magnifiques, dont nous étions, depuis cinq semaines, les témoins émus, ne pouvaient trouver un écho plus fidèle, et plus éloquent.

Il parut à Metz le 9 décembre, un beau dimanche d’hiver qui restera célèbre dans les fastes de la cité lorraine. La veille, j’y avais assisté à l’un de ces phénomènes qui sans cesse fouettaient l’intérêt et avivaient les sentiments. Vers 5 heures du soir, la ville qui, tout en gardant son allure joyeuse des dernières semaines, semblait jusqu’à cet instant assez paisible, soudain parut, sans motif appréciable, traversée par une vague de chaleur, — s’entend : de chaleur morale. Les rues pavoisées, à cette heure, s’allumaient ; les soldats bleus envahissaient la