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aux longues lignes paisibles d’où surgissaient des pics éblouissants, de hauts cimiers empanachés de neige, — alors nous ne pensâmes plus qu’au spectacle qui nous attendait là-bas.

Là-bas, dans la vallée verdâtre où coule la Haute Moulouya, six mille hommes attendaient l’arrivée du général. Pour la première fois, des troupes de Meknès, ouvrant la route que nous avons suivie, viennent d’opérer leur jonction avec une colonne partie du Sud Oranais, et qui pour la première fois elle aussi traversait le Grand Atlas [1]. La double chaîne de montagnes qui sépare le Sud Algérien des plateaux du Moghreb, et où n’avaient encore passé que de rares voyageurs déguisés en Musulmans ou en Juifs, vient d’être franchie par nos troupes. Une voie nouvelle relie, par-dessus les deux Atlas, le Maroc et l’Algérie.

C’est vers ce grand résultat que nous entraîne depuis la mer, d’une allure si décidée, le fanion du Général. Des yeux nous cherchons les soldats, qui sont campés quelque part, au bord de la rivière en partie mystérieuse, qui va des régions inconnues, soumises au pouvoir du Zaïani, jusqu’aux plaines pacifiques de la Méditerranée. Mais on ne voit que les neiges des sommets, la couleur soufrée de la plaine, les cèdres de la forêt, et partout la solitude. Passé le col, tout s’efface. Dans une descente vertigineuse à travers un éboulis de rochers, nous disparaissons sous les cèdres, les chênes verts et les thuyas. Puis encore une vallée de la peur et de la mort ; encore un volcan qui se dresse, noir de cendre et de lave, sans trace de végétation aucune, comme si cette lave et cette cendre avaient jailli la veille et restaient toujours brûlantes. Enfin, au delà du volcan, cette fois ; c’est décidément la plaine qui s’étale sur cent kilomètres jusqu’au pied des montagnes, et si pareille aux grands plateaux du Sud que lorsque les spahis d’Algérie, exilés depuis quatre ans au Maroc, l’aperçurent, l’autre jour, pour la première fois, ils se crurent revenus chez eux, et s’élancèrent avec des cris de joie vers ces libres espaces dans une fantasia délirante.

Des souffles chauds, déjà sahariens, passaient dans l’air chargé d’une odeur de menthe brûlée. Des collines en forme de table, qu’on appelle des gara, témoins d’époques géologiques

  1. Les troupes étaient sous les ordres du général Poeymirau, commandant la région de Meknès, du général Maurial et du coloaeJ Doury, commandant le cercle de Bou Denib.