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Eux-mêmes sont fort bien pourvus d’armes du dernier modèle. Les agents de l’Allemagne, établis en zone espagnole, leur font passer abondamment des munitions et de l’argent. Les fusils à longs canons, les antiques moukhalas à capsule, incrustés d’os et annelés d’argent, ne servent guère que pour les fantasias, et contre nous ils utilisent des fusils 74, des Winchester, des Martini, des Mauser, voire des Lebel qu’ils ont volés dans nos postes, ou achetés n’importe quel prix à quelque déserteur de la Légion, à des contrebandiers espagnols, et pour lesquels ils paient jusqu’à deux francs la cartouche.

Tout le long de l’Atlas, ils ont formé, pour nous combattre, de vastes groupements de tribus, véritables confédérations obéissant à des chefs qu’ils se sont donnés eux-mêmes, ou qui se sont imposés à eux par l’autorité de leur famille, leur énergie, leur éloquence, la combativité des fidèles qu’ils ont su rassembler autour de leur personne, le nombre de leurs cartouches et la qualité de leurs fusils. Mais il y a toujours dans ces confédérations quelques tribus disposées à se séparer des autres ; et dans l’intérieur des tribus des mécontents toujours prêts à soutenir à coups de fusil leur opinion personnelle. Des haines et des jalousies opposent sans cesse les uns aux autres les personnages importants. Les familles elles-mêmes sont profondément divisées ; et ce n’est pas la moindre cause de faiblesse de ces groupements éphémères formés autour d’un chef, que ces disputes entre pères et enfants, entre frères, neveux et cousins, qui tous ont leurs partisans, et liquident invariablement leurs querelles par la trahison et le meurtre.


Au milieu de ce désordre berbère qui essaie de se discipliner contre nous, un poste comme celui où nous arrivons ce soir, c’est une pensée qui travaille derrière sa ceinturé de murailles, de mitrailleuses et de canons. Là vient aboutir l’écho de toutes les passions qui agitent les tribus, des intérêts qui les divisent, des raisons qui les rassemblent, des disputes entre les familles, des résolutions qui se prennent aux marchés et aux moussems, des palabres entre chefs dans les kasbahs de terre rouge qui ne présentent au dehors que d’étroites meurtrières pour laisser passer le fusil, mais d’où s’échappent aussi bien des secrets, — bref, tout le drame de cette montagne qui se défend et qui se trahit.