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Beaucoup plus qu’elle ne se brise sous la pression ennemie, elle se décompose par ses ferments internes. L’indice le plus grave, sûrement, d’un état qui deviendrait facilement désespéré, est que ce pays, hier si laborieux, ne sent plus la nécessité et n’a plus la volonté du travail. En vain le gouvernement d’empire, la Sozial-demokratie, guérie par l’exercice du pouvoir de quelques-unes de ses turlutaines, le fouette et l’aiguillonne. 900 000 chômeurs, les bras croisés, attendent que le bienheureux, le bienveillant, le bienfaisant État les nourrisse, et que, dans leurs bouches ouvertes pour crier, les fruits tombent sans effort de l’arbre secoué de la révolution. Au premier refus, ou à la première tentation, toute cette paresse se liquéfiera en désordre. Une troisième révolution chassera la seconde, ainsi que la seconde a chassé la première. Déjà l’énergie d’Ebert et de Scheidemann fléchit : ils négocient, combinent, composent : seul Noske s’obstine à tenir bon. Pour combien de semaines et avec combien de chances ? Mais à qui la faute ? Nous avons là-dessus un proverbe : « Il ne faut pas jouer avec le feu. »

A travers tant de difficultés, de toute espèce, le point de ralliement est l’idée obsédante et débordante de l’unité. Tandis qu’à Berlin les choses se gâtent, que les spartakistes se relèvent, assaillent les postes de police, proscrivent Ebert et Scheidemann avec l’ex-empereur Guillaume, l’ex-Kronprinz, Hindenburg et Ludendorff, recherchent, pour en faire justice expéditive, les auteurs de la mort de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg ; tandis que les troupes présumées fidèles se divisent sur elles-mêmes, et que décidément les « marins rouges » se rangent dans le camp de l’insurrection ; tandis qu’on se dispute Berlin et ses faubourgs, rue par rue, maison par maison ; à Weimar, imperturbablement, le docteur Preuss continue à prêcher la sainte, la grande, la salutaire, la nécessaire unité. Imperturbablement aussi, l’Assemblée nationale poursuit la discussion, qui n’est guère qu’une approbation de la Constitution définitive de l’Empire : « J’espère, a affirmé le ministre de l’Intérieur, qu’une entente amiable sera obtenue des États particuliers signifiant l’unification du pouvoir de l’empire, des affaires militaires et du commerce. La politique gouvernementale est ainsi dirigée unanimement vers un empire unifié soutenu par un Parlement uniforme qui puisse surmonter les dangers dont est menacé non seulement chaque État particulier, mais tout l’Empire. »

D’avance on sait que, dans ce domaine, « les manifestations de la pensée populaire » sont ce qu’on veut qu’elles soient ; qu’elles sont ce