Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/477

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y aurait une étude à faire, quand les événements en laisseront le loisir, sur le « prophétisme » ou le « messianisme » dans le bolchevisme russe et les mouvements allemands issus de lui. Nous formons le vœu qu’elle tente un historien observateur et philosophe. Mais, en ce qui concerne particulièrement Kurt Eisner, qui se flattait d’être le contraire d’un bolcheviste, il aurait eu, dans ses derniers jours, la claire vision de sa propre destinée. Comme on le félicitait, à la récente conférence internationale de Berne, du courage avec lequel il venait de flétrir les traitements indigne, dont les prisonniers français et alliés avaient été les victimes, les déportations de civils français et belges, les dévastations systématiques de la Belgique et du Nord de la France, et de reconnaître la nécessité d’une expiation pour l’Allemagne : « Vous ne vous rendez pas, appuya-t-il, un compte exact de la portée de cette manifestation. Vous ne connaissez pas l’état d’esprit de l’Allemagne d’aujourd’hui. En prononçant ce discours, je viens de signer ma condamnation à mort. »

Il l’avait, en effet, signée. Mais qui sait, si une heure plus tard, il n’aurait pas été sauvé ? Lorsque le comte Arco-Valley l’a saisi au passage, Kurt Eisner allait porter à l’Assemblée, où les élections n’avaient envoyé qu’un petit nombre de ses partisans, la démission du gouvernement. Une telle démarche fait bien apparaître la différence entre lui ou une autre école ou un autre personnel : celui qui, derrière lui, attendait l’heure de le pousser et de le remplacer. Pour lui, Eisner, ce révolutionnaire était, au fond, un parlementaire, respectueux au moins de la légalité nouvelle qu’il avait créée. Il était en minorité, il se retirait. Ce n’était pourtant ni le régime politique, ni le système social de ses rêves. Il concevait, il imaginait une pure souveraineté du peuple représenté par ses conseils d’ouvriers, de paysans, de travailleurs, même de travailleurs intellectuels, fraternellement unis, sans hiérarchie, sans rien qui rappelât les formes et les coutumes, à ses yeux arriérées, d’un libéralisme bourgeois. Mais il détestait et méprisait plus encore les pratiques. sinon les doctrines, bolchevistes. « Mes convictions s’opposent au bolchevisme, déclarait-il : je crois à l’esprit, à la force des idées... A l’étranger, on a cru que nous représentions ces messieurs de Moscou et de Petrograd. Cette crainte a dû venir de ce que nous avions organisé des conseils de soldats et d’ouvriers, et paru imiter l’exemple russe. Mais nous n’employons aucune des méthodes slaves, et le but vers lequel nous marchons n’est pas le même. Nous voulons construire