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Il y a plus de cinquante-quatre ans, le 1er juin 1864, Auguste Geffroy, qui connaissait si bien la politique et l’histoire de la Scandinavie, publiait ici, en pleine guerre des Duchés, pendant l’armistice qui suivit la défaite du Danemark à Dybböl, et tandis qu’avait lieu la conférence de Londres, un article éloquent où il plaidait la cause du peuple danois et dénonçait avec une clairvoyance singulière les plans de conquête des Puissances centrales. Il prédisait le conflit qui allait les mettre aux prises lorsqu’il faudrait partager le butin, ces Duchés pour lesquels elles avaient fait la guerre. Il montrait à l’Angleterre, dont la politique avait été si faible et si irrésolue, pour ne pas dire plus, la marine allemande qui allait être créée grâce aux ports et aux marins des côtes enlevées au Danemark et qui allait permettre à l’Allemagne, non seulement de dominer dans la Baltique, mais de menacer jusqu’aux îles Britanniques. Il affirmait aussi qu’il était nécessaire de protéger et de favoriser le développement des marines scandinaves appelées à rendre tant de services et qui de fait en ont rendu de si précieux pendant la guerre universelle [1].

Les grandes Puissances européennes ont laissé se consommer le crime. Bismarck a eu cette terre « qu’il lui fallait. » C’était un coup d’essai dont la guerre de 1870 n’a été qu’une réédition en plus grand ; l’unité allemande était fondée. La guerre de 1914-1918 fut la conséquence des ambitions de l’Allemagne et des erreurs de l’Europe. Pour le Danemark, dont la seule faute avait été d’être faible, n’ayant plus confiance ni en sa force ni en la justice, amoindri, humilié, il s’affaissa moralement ; son activité se tourna vers le commerce, l’industrie, les entreprises d’outre-mer ; dans l’art même et dans la science, ses œuvres eurent un caractère réaliste et utilitaire.

Mais il y eut des Danois qui ne désespérèrent jamais et ce turent justement ceux qui avaient été arrachés à leur patrie pour devenir les membres d’une nation contre laquelle ils venaient de se battre et qu’ils avaient toujours haie. Ils continuèrent de lutter avec les armes du courage, de l’intelligence,

  1. Cet article, qui intervenait à un moment critique, n’est pas le seul qu’Auguste Geffroy ait consacré à la question du Slesvig dont il a suivi toutes les phases dans la Revue pendant plus de vingt ans.