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il faut agir, vivre le plus possible, vouloir, oser, ne pas trop se défier de soi, car « le sentiment que nous avons de nos forces les augmente, » aspirer à la gloire, aux grandes choses. Il le faut, parce que toute lutte est belle, parce que la vertu c’est l’effort, parce que le bonheur c’est le désir, parce qu’il n’y a « nulle jouissance sans action. » L’inaction est la mort. Guerre au mondain dont la vie est vide, comme à l’ascète qui cherche à tuer l’homme en lui ! « La pensée de la mort nous trompe, car elle nous fait oublier de vivre. — O insensé ! pourquoi voulez-vous mourir vivant ? »

Là, est sa vraie originalité et sa grandeur. Quand il critiquait les mœurs de son siècle, il faisait le procès de la société et non celui de la nature humaine. Il croit en l’homme, et en cela il est bien de son siècle dont il s’éloignait à tant d’autres égards. Il croit à la générosité native de l’homme ; il croit à la rectitude de l’instinct ; il croit qu’en obéissant à son cœur on ne peut s’égarer. Il nous sait condamnés à la souffrance et capables de la surmonter, capables de nous sacrifier pour un idéal. Il est le moraliste de la volonté, de l’enthousiasme, de la passion.

Il disait à son jeune disciple et ami Hippolyte de Seytres ;


En toute occasion, quand vous vous sentirez porté vers quelque bien, hâtez-vous de vous satisfaire.

Si vous avez quelque passion qui élève vos sentiments, qui vous rende plus généreux, plus compatissant, plus humain, qu’elle vous soit chère.

Aimez les passions nobles.


Qu’entend-il par là ? L’ambition et l’amour.

Quoiqu’il honore et encourage tous les grands rêves qui exaltent notre être, on voit sans peine vers quelle sorte d’ambition il allait instinctivement. La gloire littéraire, qu’il a paru rechercher dans ses derniers jours, n’était pour lui qu’un pis aller. Il la jugeait peu sûre et d’ailleurs frivole. Il se demandait, — et au fond, son propre exemple pourrait justifier son doute, — si les œuvres les plus belles sont les plus lues et les mieux comprises ; il doutait que la littérature pût être quelque chose de plus qu’un vain amusement de l’esprit. Souvenons-nous qu’elle n’a commencé à devenir une puissance, et le plus puissant de tous les moyens de domination, que dans la