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 O vallée, qui de mes soupirs est pleine,
ô fleuve, que souvent mes larmes ont enflé,
bêtes des bois, oiseaux errants, poissons,
qu’enferment l’une et l’autre rive,
Air, que mes soupirs ont rendu chaud et serein,
doux sentier qui me semblés si amer,
colline qui m’as plu, mais aujourd’hui m’affliges,
où encore l’Amour me conduit par coutume ! —
En vous je reconnais les formes familières ! —
mais en moi-même, non !


Il retrouve le miracle de son imagination d’autrefois, alors qu’elle faisait apparaître sa chère ennemie sous toutes les formes de la nature, rochers, arbres et ondes. Laure revient encore, aussi belle, plus clémente. Un jour, c’est une Nymphe qui surgit en nageant des eaux claires de la Sorgue. Plus souvent c’est la dame réelle, ressuscitée, qui revient fouler les fleurs, comme autrefois.


XV

Les visions de Laure se multiplient à partir de ce moment, et jusqu’à la fin. Quand Madame est là, bientôt il arrive qu’elle parle. Sa parole toujours aussi douce et sage, n’est plus sévère. L’espoir qu’elle donne à son ami n’est pas celui des chimères de jadis, mais celui des joies éternelles, auxquelles il croit, en son cœur de chrétien. Elle lui dit comment elle est venue à la possession de cette lumière absolue, que l’homme, sur la terre, ne peut connaître que par le regard intérieur de l’âme.


Ne pleure pas sur moi ! Mes jours sont devenus
éternels par la mort. Et, vers la lumière intérieure
quand j’ai semblé fermer les yeux, je les ouvrais !


Désormais tous les efforts de l’idéal amant devront tendre vers la vertu. Ainsi seulement il peut avoir l’espoir de retrouver sa Dame dans les cercles du ciel. Il la re verra aujourd’hui sous sa forme spirituelle. Mais dans les âges futurs, joie parfaite ! il la reverra tout entière, après que la résurrection de la chair lui aura rendu, transfigurées, les formes qui ont charmé la terre : les yeux, les cheveux, le sourire, la voix.