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des siècles avant d’autres songeurs fameux, il connut les rêveries d’un promeneur solitaire. Il va, court les champs, les forêts, escalade les pentes, recherche les cols et les sommets écartés. Il y retrouve partout sa douleur et ses visions :


Et je crois désormais que les monts, les coteaux,
les fleuves, les forêts savent de quelle sorte
est ma vie, aux hommes cachée.


Mais s’il fuit toute compagnie, il en est une pourtant qu’il ne peut fuir : aux lieux les plus sauvages, Amour est avec lui.

C’est ce qu’il nous raconte en tant de récits, si beaux, qu’avant lui, je pense, l’humanité n’en avait guère vu de semblables ; la nature et la pensée y sont sans cesse confondus.


De penser en penser, de montagne en montagne
me guide Amour. Car tout sentier frayé
me paraît ennemi de ma tranquillité.
S’il est sur un coteau désert, source, ruisseau,
ou bien entre deux monts une vallée ombreuse,
— là mon âme inquiète s’apaise,
et, selon qu’Amour l’invite,
tantôt rit, tantôt pleure, a peur ou se rassure.


Qui pourra dire quel monde d’images claires ou sombres la nature lui fournit en une incroyable abondance pour exprimer le flux et le reflux de son âme, où la douleur et la confusion chaque jour prennent le dessus ? Cette âme s’interroge et ne sait que répondre. Qu’est-ce donc que cet éternel désir sans but et sans espoir ? Est-ce un amour, et n’est-ce pas plutôt une maladie de l’âme ? — C’est la vaine mélancolie, l’ennui de vivre, ce « démon de midi, » des anciens solitaires, que le moyen âge nommait Acedia. Pour un peu, c’est le désespoir.


Si ce n’est pas Amour, qu’est-ce donc que je sens ?
Si c’est Amour, par Dieu ! quelle chose est-ce là ?
Si elle est bonne, — d’où l’effet âpre et mortel ?
Si mauvaise, — qui rend chaque tourment si doux ?
Si je brûle par ma volonté, d’où ces pleurs, ces plaintes ?
Et si c’est malgré moi, à quoi sert de gémir ?
mort vivante, ô mal délicieux,
comment as-tu sur moi tel pouvoir, si je n’y consens pas ?
Si j’y consens, j’ai grand tort de me plaindre !
Par des vents si contraires, sur une frôle barque,
je suis en haute mer, sans gouvernail.