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au nombre de ceux qui ont compris. Mais comprendre est une chose, et traduire une autre.

C’est en parlant justement de Pétrarque, que Joachim du Bellay, qui l’aimait, défiait, dès le XVIe siècle, les traducteurs : « J’ose bien dire que si Homère et Virgile renaissant avoyent entrepris de le traduire, ils ne le pourroyent rendre avecques la mesme grâce qu’il est en son vulgaire toscan ! » — Homère ou Virgile sans doute : il faudrait se méfier ! — Mais un humble et consciencieux travailleur, épris de poésie, pourra peut-être en donner quelque idée. Chaque morceau qu’il croira pouvoir tourner en français, y perdra certes, en lui-même, « cette grâce » qui ravissait du Bellay : maison tâchera de le mettre à sa place et l’encadrer dans un si beau tableau, de l’invention du poète, que cette beauté emportera tout.

Je les « tournerai » le plus exactement que je pourrai. Être littérale n’est pas toujours pour une traduction la qualité maîtresse : c’est quelquefois, dit-on, la manière d’être infidèle [1]. J’en demeure d’accord, s’il s’agit de langues éloignées de la nôtre, et que l’on ne peut traduire directement, et sans explication. Ce n’est pas le cas pour l’italien du XIVe siècle. Cette langue et la nôtre, ces deux sœurs latines, ont crû si près l’une de l’autre, que leurs usages sont pareils, à quelques inversions près. ; La plus belle preuve en est la traduction de l’Enfer par Littré, en français médiéval, — un chef-d’œuvre ignoré, ou peu s’en faut.

Je ne l’égalerai pas, bien entendu, d’autant que je ne veux pas user de la langue du moyen âge. Je ne présente pas au lecteur moderne autre chose que la langue dont il a l’habitude, avec quelques tours archaïques à l’occasion, mais bien connus. Je tâcherai, quand je le pourrai, de reproduire le « nombre » des vers italiens, jusqu’à pouvoir parfois suggérer au lecteur quelque chose de leur musique.

Est-il excessif d’ajouter que pour cela je réclame quelque effort du lecteur, et un peu d’imagination complaisante ?

  1. C’est ce qu’exprimait un jour ici M. Doumic (à propos d’Euripide) : « La manière la mieux intentionnée, mais aussi la plus sûre de fausser un texte est de le traduire littéralement. » (Voyez la Revue du 15 octobre 1917).