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pour moi. Il est possible que Platon y ait mis quelque ironie, comme c’était sa coutume quand il parlait des poètes. Mais il y a si bien exprimé cependant le sens vrai de la beauté poétique qu’on ne saurait concevoir un plus excellent prologue à la lecture d’un lyrique.

Socrate parle :


Tels les corybantes ne sont plus en possession de leur raison lorsqu’ils se livrent à leurs danses, tels les poètes lyriques cessent de la posséder, quand ils composent leurs admirables chants. Dès qu’ils abordent le son et les rythmes, un délire les saisit. Et, comme les bacchantes, dans leur égarement, puisent au cours des fleuves le miel et le lait, — ce qu’elles sont incapables de faire, une fois rentrées en elles-mêmes, — ainsi l’âme des poètes lyriques fait véritablement ce qu’ils disent qu’ils font.

Ils nous parlent, en effet, de fontaines qui répandent du miel, de jardin des muses, de frais vallons, où ils vont, butinant comme les abeilles, voltigeant eux aussi, et d’où ils nous apportent leurs vers. Et ils disent la vérité ! Car le poète est chose légère, ailée et sacrée, et il ne peut rien faire, sans que le dieu qui le pénètre l’exalte et lui fasse perdre la raison. Tant qu’il n’est pas dans cet état, notre homme est incapable de faire des vers et de vaticiner. Ce n’est pas dans ses connaissances qu’il puise toutes les belles choses qu’il débite (comme toi, quand tu dissertes sur Homère), mais dans une inspiration divine.


Il faut obéir à Platon, et suivre, sans discuter, le poète dans son inspiration divine. Nous le suivrons et le croirons, car « les poètes disent la vérité. » Je laisse là mes livres. Et, comme il s’agit ici de lire des poèmes d’amour, je prends pour mon usage ce vers de notre énigmatique Mallarmé :


Mes bouquins refermés sur le nom de Paphos !


IV

Je ne les rouvre pas. Je ne veux lire que le poète.

Mais encore, peut-on lire en France un poète italien, un des plus délicats ? — A cette idée, Carducci s’exclamait : « Comme si, disait-il, les étrangers pouvaient arriver à le comprendre, sans savoir, de la langue italienne, bien plus qu’il n’en faut pour comprendre Dante ! » — Je persiste cependant, car dans le même volume, le même Carducci voulait bien (me compter