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me dis : Tu n’as pas rêvé, nous sommes enfin Français. Vive la France ! On voudrait crier tout le temps, toute la journée ! »

Est-il étonnant qu’un pareil délire de joie ait été, pour certains, mortel ? J’ai parlé du vénérable abbé Cetty, curé de Saint-Joseph de Mulhouse qui, bien peu d’heures après qu’il s’était jeté dans mes bras, mourut, ayant vu Hirschauer entrer dans la ville en extase. On m’a cité dans une ville de Lorraine le cas d’un boulanger qui, à la vue des soldats, cria : « Ah ! les voilà, les voilà ! » et soudain : « Oh ! que j’ai mal ! », puis s’affaissa foudroyé. « Beaucoup sont morts de joie, écrit une femme, et je le comprends : moi, je suis plus heureuse d’être Française pauvre, que d’être sous la domination de ces monstres avec des millions. »

Le plus beau trait me fut cependant fourni à Munster : la ville, ruinée par le feu de notre artillerie, n’est plus qu’un tragique monceau de décombres. Je m’y étais rendu, croyant la trouver déserte, mais déjà des habitants y rentraient, qui erraient à travers les lamentables ruines de leurs maisons. Dans l’église miraculeusement épargnée, je rencontrai une vieille dame : « Ah ! dit-elle, notre église au moins est debout. — Et votre maison, madame ? — Il n’y a plus rien. — Quelle tristesse ! — Oh ! non, monsieur, oh ! non. On est si content ! »


La joie, l’amour ne cessent de se nourrir de mille aliments : le principal est fourni par nos soldats.

Ils arrivaient entourés du prestige de la victoire remportée, de la liberté apportée, et on était certes disposé à les trouver charmants. Mais des préjugés répandus par l’ennemi les représentaient comme plus aimables qu’admirables. On les trouva certes « aimables » au delà de toute attente : on ne cesse bientôt plus de proclamer « leur politesse, » « leur gentillesse. » « C’est vraiment une autre race que les Prussiens. Jamais pendant les quarante-huit ans de l’occupation (sic) allemande, je n’ai vu des enfants à la main des soldats ! » — « Que ces gens-là sont différents des Allemands, une différence comme le jour et la nuit. Chez eux on ne peut distinguer les grands des petits. » Mais cette « gentillesse, » elle est de tradition : ce qui étonne, édifie, achève de séduire, c’est la tenue. « Les soldats font très bonne impression par leur manière d’être calme et posée. » —