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incisive qui nous est familière. Ce qui, dans son court discours, retentit le mieux, ce fut la phrase qui, le soir, se colportait dans toute la cité : « Un million et plus de Français sont morts pour la patrie ; s’ils pouvaient se relever aujourd’hui, ils nous diraient qu’ils se recouchent heureux dans leur tombe, puisque l’Alsace est redevenue française. » Moment sublime : c’est le Debout les morts ! du grand chef. Les a-t-il assez pleurés, ces enfants tombés, lui dont le souci le plus obsédant était de ménager les vies ! Les a-t-il assez souvent réclamés à la mort qui les lui avait arrachés quand avec angoisse il voyait les bataillons ennemis déferler ! Et maintenant il les redresse, il veut qu’ils soient une minute son escorte, son armée en ce Strasbourg qu’ils ont libéré, et, se tournant vers eux, il leur dit avec cette émotion qui fait passer en nos moelles un frisson douloureux et glorieux tout ensemble : « Mes enfants, voici votre œuvre ; dormez en paix ! »

La même note grave retentit lorsque, à toute volée, les cloches sonnant dans la tour de la cathédrale, le Maréchal, les généraux pénétrèrent dans la sombre basilique.

Le grand chef s’y était porté avec la même impétuosité qu’une heure avant, à l’Hôtel de Ville, et le groupe prestigieux qui l’entourait fit dans la nef bondée de fidèles exaltés une entrée brusque qui ne manquait pas, il faut l’avouer, de caractère. Il fallut cependant s’arrêter net devant les chapes d’or du clergé métropolitain rangé, — je ne dirai point en bataille, il s’en fallait de tout, — à l’entrée même de l’allée centrale. Jadis le Grand Roi avait été reçu là, premier souverain de France qui s’y présentât, par le haut et puissant évêque prince Egon de Furstenberg, qui avait chanté le Te Deum parce que la France atteignait le Rhin. « Gallia Germanis clausa. » Le Maréchal ne trouvait point d’évêque devant lui, encore que Strasbourg en comptât deux ; mais l’un est Allemand et l’autre « pire, » ainsi que j’ai entendu un bon catholique strasbourgeois s’exprimer, car ce fils d’un soldat de France s’est mis dans le triste cas de ne pouvoir venir, sans craindre une avanie, saluer le grand soldat de France qui se présentait là. Ce n’est pas le fait des bons Français qui composent le chapitre ; leur doyen, le chanoine Schickclé, prend la main du maréchal, le chanoine Gass celle du général de Castelnau, et suivis de cinq ou six cents officiers, ils les conduisent aux premières marches