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menace ou de danger d’agression, le conseil exécutif avisera aux moyens propres à assurer l’exécution de cette obligation. » Le conseil de la Société des Nations avisera : ne devrait-il pas avoir, par avance, avisé ? Sans doute aussi, pour la réduction des armements nationaux, il sera tenu spécialement compte « de la situation géographique de chaque pays et des circonstances. » Mais alors, ce sont toujours les mêmes qui supporteront la charge ; ce sont toujours les mêmes qui se feront tuer ? La Société des Nations suppose, commande, exige l’armée des Nations, suffisante, prête, à portée : M. Wilson l’a parfaitement vu. Nous sommes tout disposés à accueillir avec une foi sincère la Sagesse, issue à la fois de son cœur généreux et de son puissantcerveau. Qu’il nous permette de regretter seulement qu’elle n’en soit pas sortie mieux armée. Minerve même est-elle Minerve, sans le casque, la cuirasse et le bouclier ?

Mais plutôt sont-ils vraiment venus, les jours des Pallas-Athéné ? Sommes-nous mûrs pour la liberté, pour le droit et pour la justice ? Vivons-nous dans un monde nouveau, susceptible de recevoir une nouvelle loi ? On n’oserait le dire, au spectacle de certains actes, dignes, en leur brutalité stupide, de l’humanité des cavernes : par eux, tout au moins, l’anarchiste contemporain rejoint-il, derrière les conjurés des républiques italiennes, le tyrannicide des cités antiques. Tel est le geste du misérable qui a voulu et a failli assassiner M. Clemenceau. Vainement on lui cherchera une excuse dans la folie. C’est une folie criminelle, parce que c’est une folie provoquée. Il se peut que la main qui a agi n’ait pas été la plus coupable : il y a des suggestions indirectes à grande distance. Mais elle a agi, et on la tient. Si l’on pouvait suivre le fil jusqu’au bout, il serait curieux de voir où il conduirait. « Je hais Clemenceau, déclame le meurtrier, parce qu’il est l’ennemi du genre humain, parce qu’il est la guerre. » Consciemment ou inconsciemment, le malheureux a tiré sur notre victoire. Par chance, et pour notre honneur, il n’en a pas abattu les fruits. M. le président du Conseil n’a été atteint que d’une blessure qui ne semble pas mettre sa vie en péril. Il n’est pas un Français qui ne s’en félicite, pour peu qu’il ait, avec le sentiment des nécessités de l’heure, la piété de la patrie.

Charles Benoist.

Le Directeur-Gérant :

René Doumic.